Penny haussa les sourcils et baissa les yeux sur elle pour voir sa dite jupe. C'était la première fois qu'elle mettait cette robe oui, mais pas la première fois qu'on lui voyait les genoux. Plus tôt dans la journée, elle avait un espèce de chiffon à fleurs avec un débardeur large même.

– Bah euh...

Elle haussa les épaules en relevant le nez sur Hayden.

– Si ça m'arrive mais il a fait plutôt frais cet hivers et tu ne fais attention à moi que maintenant, alors...

Elle plongea son nez dans son verre pour continuer le boire. Au moins, elle donnait un argument aux rougeurs sur son visage. Cela dit, ce n'était pas faux... Ils ne s'intéressaient vraiment l'un à l'autre que depuis très récemment. Elle même n'avait pas fait attention à lui avant, elle ne saurait dire si c'était son jean habituel ou un neuf.

– Mais ça va changer.

Penny avait sourit et avait replongé les eux dans son assiette quand Hayden a continué. Surprise par ses questions, elle releva la tête en haussant les sourcils. Parler d'elle ? Mais elle l'avait déjà fait la dernière fois et de plus, ce n'était pas tellement son genre de beaucoup parler d'elle. Elle allait cependant faire un effort et plissa le front en se plongeant une réflexion.

– Te parler de moi... J'ai tenté de faire des études en littérature à Bristol oui mais ça n'a pas marché pour moi alors je suis rentrée à la maison m'occuper de la ferme et de mon frère. Et euh... C'est tout. J'aime tes plats. J'en mange jamais alors... Et en musique euh...

Souriant, elle lui désigna du pouce le tourne disque avec les Beatles. Légèrement rougissante, elle était gênée de ne pas être bien plus adroite que lui, finalement. Prenant un verre entre ses deux mains, elle le porta à ses lèvres en regardant Hayden, plus enjouée à l'idée d'entendre parler de lui.

– Et toi ? Tu n'as pas une femme qui vit avec toi, normalement ? Une gouvernante, je crois, ou quelque chose comme ça ?

Penny sourit et baissa les yeux en reposant son verre. D'accord, Hayden voulait parler avec elle, voulait échanger des choses. Elle n'était pas habituée, personne lui demandait ce genre de choses, en général car tout le monde la connaissait et ça lui allait très bien ainsi. Elle soupira et haussa une épaule.

– Comme je te disais l'autre soir et tout à l'heure, les études, c'est pas mon truc et je ne pense pas quitter Glastonbury un jour. C'est ici ma vie, maintenant. Je suis bien, ma famille ici, mon travail est ici et tu es ici alors je n'ai aucune raison d'en vouloir plus. Je ne suis pas quelqu'un de très ambitieux, Hayden.

Et c'était vrai.

– Est-ce que je vais me marier, avoir des enfants, j'en sais rien. Bizarrement, ça ne m'intéresse pas trop pour l'instant, peut-être que je suis encore un peu trop jeune pour penser à tout ça.

La seule chose pour laquelle Penny pouvait avoir de l'ambition, c'était pour Hayden. Le fait d'être seule l'épuisait, elle était au bout de sa patience. Alors c'était la seule chose à laquelle elle pouvait réfléchir pour l'avenir. Est-ce qu'elle devait lui dire ? Non, c'était prendre le risque de le voir fuir. Alors au lieu de ça, elle sourit.

– Et toi, alors ? Tu n'as pas l'air de vouloir rester ici toute ta vie.

Alors qu'il parlait, Penny posa sa joue dans ses poings joints pour lui sourire. Il n'y avait pas à dire, elle le trouvait vraiment beau, finalement tout à fait son goût, ce qu'elle n'aurait pas cru encore à Halloween dernier. Jusque là, elle pensait qu'il était comme ce que tout le monde pensait : un fils à papa qui n'a pas vraiment sa place à Glastonbury. Mais son comportement envers elle avait changé d'un coup et son côté protecteur révélé, elle avait connu une nouvelle facette de lui. C'était ça qui l'avait rendue curieuse à son sujet. A bien l'étudier, elle y voyait une carapace pour se protéger du monde extérieur. Passé ce préjugé, Penny avait changé d'opinion sur Hayden.

Souriant un peu plus, Penny n'osa pas lui répondre. Elle le laissa lui remplir son verre sans rien dire puis reprendre. Le fait qu'il parle d'elle alors qu'elle s'était contentée de penser à lui dans son "avenir" la gênait quelque peu. C'est à croire qu'ils parlaient d'une relation déjà très sérieuse. Mais ça lui convenait après tout. Ce n'était pas comme si elle n'avait pas rêvé de tout ça depuis longtemps. Son horloge biologique tournait et vivre seule, ça suffisait. Il était temps qu'elle pense à elle et sa propre vie, à présent.

– Tu veux passer du temps avec moi ?

Elle se redressa pour relever la tête et prendre son verre entre ses mains et le porter à ses lèvres pour en boire une gorgée.

– Tu sais, si tu m'emmènes au soleil, tu vas te retrouver avec une écrevisse. Je suis une vraie rousse...

- Sauf si tu n’y tiens pas plus que ça ! Je ne t’emmène pas… Tu m’accompagnerais…

Hayden ouvrit les mains en signe d’apaisement comme si ça allait de soit. Après tout, il ne tenait pas à prendre de décision à la place de la jeune femme. Il avait passé plus de vingt ans à gérer les faits et gestes des membres de sa famille ce n’était pas pour retourner là dedans. Penny était libre de ses choix et de ses désirs. Si elle ne voulait le voir que de temps en temps, il n’aurait rien fait pour l’en dissuader. De toute manière il avait le sentiment que la jeune femme ne ferait que ce à quoi elle voudrait bien consentir. Donc le sujet était clos. Et puis ce n’était pas leur différence d’âge qui y changerait quoique ce soit.
Pourquoi une île tiens d’ailleurs ? Pourquoi pas une cabane dans un grand nord canadien au milieu des ours ? Le froid, la neige et le silence, des choses qui lui ressemblaient assez en fin de compte. Mais entre une écrevisse et un esquimau Hayden ne savait pas vraiment ce qu’il aurait préféré avoir prêt de lui.

- Si ca ne te convient pas tu peux toujours proposer autre chose ! Je suis ouvert à toutes propositions !

– Non...

Elle sourit d'autant plus en secouant la tête. Allez comprendre pourquoi mais où irait Hayden, elle irait.

– Non ça va me va très bien, je mettrai de la crème, dans ce cas.

La seule chose qu'elle lui demandait, de façon silencieuse toutefois, c'était de ne pas l'abandonner comme ses parents et son frère. Mais quelque chose lui disait que, lui-même pas mal abandonné par son entourage, ce n'était pas non plus ce qu'il désirait. Et voilà qui lui allait très bien. Finalement, ces disparitions avaient fait ressortir Hayden du lot de façon très intéressante, comme Penny ne s'y serait jamais attendue. Et rien de tout ça n'était pour lui déplaire.

Penchant la tête sur le côté, elle porta son verre à ses lèvres sans avoir quitté Hayden des yeux.

– Maintenant, parle-moi de ta mère... Je t'ai dit que je voulais entendre ton histoire et tu avais l'air disposé à m'en raconté pas mal de choses tout à l'heure, alors vas-y.

Son verre dans une main, elle tira sa chaise pour venir se mettre plus près de lui. Elle but une gorgée et posa son vin à côté de celui de Hayden en se raclant la gorge. Elle mit son menton dans ses mains et le regarda avec des yeux morts d'amour.

Hayden sourit à Penny. Il aimait la voir enthousiaste. Il aimait la voir sourire. Il aimait la voir tout simplement. Il n’avait plus ressentit cela depuis longtemps. Entre les personnes que l’on côtoyait quotidiennement et qui finissait par disparaître dans la masse, tous ceux que l’on aurait voulu connaître mais à qui on n’a jamais parlé et tous les champs des possibles que les décisions et le temps avaient égaré… Non, Penny comptait plus que tout cela. Pourquoi et comment ? Il n’aurait pas su le dire ni l’expliquer. Elle n’avait jamais fait partie de sa vie en tant qu’individu prise en compte et soudain elle était apparue comme ça sur son chemin. Peut-être qu’à quelques minutes prés tout cela ne serait jamais arrivé. Peut-être que s’il avait prit directement le chemin du cimetière bien des questions auraient été évité. Mais n’aurait-il jamais connu un tel sentiment une autre fois ?

- Alors nous verrons cela ! Et puis si je suis avec toi tu auras ton étaleur de crème attitré ! Ce n’est pas rien !

Hayden regarda Penny s’installer près de lui sans rien dire. Elle ne le quittait pas des yeux mais la façon dont elle avait de le regarder ne le mettait pas mal à l’aise. En vérité, il aimait plutôt cela. Le sentiment d’avoir de l’importance pour quelqu’un comblait ce vide qu’il avait eu au fond du cœur toutes ses années. Aussi quand elle parla il mit quelques instants à réaliser la teneure de ses propos. Si tantôt elle l’avait trouvé un peu trop bavard, Penny était à présent disposer à en savoir plus. Si cela le ramenait à toutes ses questions, ça prouvait aussi que la jeune femme avait un véritable intérêt pour lui. Soupirant comme pour se donner une contenance, il décida d’en parler comme il en avait toujours fait. Avec le plaisir manifeste de ses souvenirs d’enfants. Croisant le regard de Penny, il lui sourit tout en entamant sa petite histoire.

- Je ne sais pas si tu l’as déjà croisé dans notre rue… Mais je crois que c’était la plus belle femme que je n’avais jamais vue. Isis lui ressemble beaucoup, mais elle avait quelque chose de plus… vaporeux si je puis dire. Cette description ce fait en toute objectivité bien sûr !

Il adressa un sourire entendu à la jeune femme.

- Elle faisait des études en histoire quand elle a rencontré Charles. Ils étaient jeunes, pourtant ils ne se sont plus quittés. Elle a beaucoup voyagé pour son travail. Elle parcourait le monde à la recherche d’objets anciens ayant appartenu à une quelconque célébrité historique. La décoration de cette maison c’est son œuvre. Elle voulait une trace de chacun de ses voyages et que chaque personne qui viendrait prendre le thé puisse les vivre comme s’il y avait été avec elle. Elle souriait tout le temps avec Isis et moi mais ce n’était pas très représentatif de ce qu’était sa vie.

Hayden soupira un instant avant de reprendre d’une voix plus basse.

- Je la croyais triste, seule et probablement dépressive… Pourtant les propos de mon père remettent tout en cause et je me creuse inlassablement la tête pour tenter de me souvenir de quelque chose qui pourrait faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre. Mais la seule chose qui me frappe aujourd’hui c’est qu’au fond je n’étais qu’un gamin et que je ne la connaissais pas. Mais de là à imaginer qu’elle ait pu mettre en scène sa propre mort… Honnêtement j’ai du mal à y croire !

Penny écoutait avec de grandes oreilles attentives. Hayden faisait preuve de peu de sensibilité dans le sens où il ne montrait que très peu d'affection vis à vis de cette partie de sa vie. Mais ça ne voulait pas dire qu'il ne ressentait rien. Simplement qu'il était doué à ne pas s'étendre. Mais ça, ça ne l'étonnait pas plus que ça, bien au contraire, elle n'en avait pas attendu de lui plus que ce qu'il ne voulait bien lui montrer.

Penny n'avait pas vraiment souvenir des parents d'Hayden. Peut-être une fois mais dans sa mémoire, ça commençait à remonter, déjà. Ils avaient 5 ans d'écart et ce n'était pas rien quand on revenait quelques années en arrière. Penny devenait vite une petite fille avec d'autres occupations que mémoriser les visages des voisins qu'elle ne croise que rapidement. Mais elle rattraperait bien son retard. Elle releva la tête de ses mains.

– Et que t'a dit ton père, alors ?

Elle reprit une gorgée de vin en posant ses yeux sur Hayden. Si elle continuait comme ça, elle serait pompette avant lui ! Pourtant, Penny avait une bonne tenue d'alcool mais elle n'était pas vraiment habituée au vin, plutôt à la bière.

– Tu sais pourquoi ta mère aurait pu éventuellement mettre en scène sa mort ?

Penny semblait prendre son histoire au sérieux et Hayden se demanda un instant s’il ne devait pas paraître presque désintéressé par sa propre histoire. Il s’était enfermé pendant si longtemps dans la colère et l’amertume que le récit ne devenait plus à présent qu’une succession événements chronologiquement ordonné. Charles avait fait exploser tout ces ordres et se détachement qu’il s’était imposé. Aujourd’hui, Hayden ne savait même plus quel sentiment prédominait sur les autres. Il soupira en laissant échapper un petit rire cynique.

- Qu’il nous aimait… Et que toute cette histoire n’était qu’une mise en scène qu’elle avait imaginé pour disparaître.

Hayden croisa le regard de Penny. Il ne savait plus trop ce qu’il devait dire ou pas, ressentir ou non. Est-ce qu’il était triste ? En colère ? Non, en fait il était simplement désappointait par tout ça. Pendant près de vingt ans il s’était répété inlassablement les mêmes mots, le même schéma, la même conclusion. A présent il ne restait plus rien pour alimenter sa colère, il n’y avait plus rien pour alimenter la haine qu’il avait éprouvé pour son père. Ne restait plus que les questions, encore des questions et toujours des questions. Et toujours la même question que Penny. Pourquoi ? Ouvrant les mains en signe d’incompréhension, il ne perdait pas pour autant contenance et sourit à la jeune femme.

- J’ai beau retourner la question dans tout les sens je ne parviens pas à trouver de solutions… Mais en parlant à mon père j’ai eu le sentiment que c’était la première fois qu’il ne me mentait pas en vingt ans. Alors pourquoi traîner un tel fardeau pendant si longtemps ?

Hayden s’arrêta un instant pour conclure de lui-même.

- Toutes ces questions… Mon père a les réponses j’en suis sûr. Mais je crois qu’il me manque encore un peu de courage pour les lui demander.

En fin de compte, plus il parlait à Penny et plus Hayden prenait conscience du vrai problème. Croisant le regard de la jeune femme il sourit en haussant les épaules.

- La vérité, c’est que l’enfant que j’ai été ne pourrait pas accepter d’être déçu.

Encore une fois, Penny l'avait écouté avec attention. Hayden se confiait à elle bien plus qu'elle ne l'aurait jamais imaginé. C'était d'ailleurs un sentiment étrange que de sentir une personne vous faire à ce point confiance pour vous parler de cette manière. Bien que bonne confidente, Penny n'avait jamais eu de secret à garder. Elle avait eu des amis, oui et des amies, mais ceux-ci étaient partis dans les grandes villes du pays pour faire leurs études et elle, elle avait préféré rester s'occuper de son frère et de sa petite ferme qui paye pas de mine avec son minuscule cheval à chonchons. Et elle était loin de regretter, c'est juste que Hayden était le premier à lui rappeler ce qu'était un ami. La famille, les Donovan, Shahid, Harry... C'était une chose mais quelqu'un qui vous "appartienne", qui fasse partie de ce que les gens ignorent de vous, elle n'avait jamais connu ça. Pour vivre heureux, vivons cachés. Penny n'était pas un coeur solitaire, elle n'était pas non plus mystérieuse et n'avait rien à cacher à qui que ce soit. Mais il lui était arrivé de nombreuses fois d'en avoir pourtant bien envie afin de se protéger.

Elle n'avait aucune idée de ce qui avait poussé Hayden à se comporter à présent comme ça avec elle, pourquoi il avait décidé de lui parler à elle et pas Harry, par exemple qui aurait pu l'aider à retrouver sa mère ! Mais elle ne se posa pas vraiment la question. Certaines questions étaient inutiles, il suffisait de profiter des cadeaux qu'on nous faisait sans se demander quoi, comment et où... Penny porta alors une main sur le visage d'Hayden pour lui caresser la joue en souriant. Elle était attendrie et en même temps il venait également de lui dire quelque chose dont il n'avait peut-être pas conscience mais qui, de l'extérieur, était assez évident. Elle porta même sa deuxième main et s'accouda à la table pour se pencher vers lui. Elle lui écarta des mèches du front d'un simple geste de son index, ses yeux dévisageant chaque parcelle de son visage.

– On ne peut pas être déçu de ce qu'on ne connaît pas. Si tout ça te ronge à ce point, c'est aussi parce que tu as la possibilité d'écrire toi-même une partie de ta vie. Ce que je crois... C'est que si tu as besoin de courage, alors je te donne le mien, je n'en ai pas besoin. Mais tu ne peux pas laisser cette situation perdurer encore longtemps. Quelles que soient les réponses, tu ne seras en paix que lorsque tu les auras. Et si ça veut dire... parcourir le monde pour retrouver ta mère dans tous les champs de ruines de la planète alors je ferai ce que je peux pour t'aider. Les gens regrettent parfois d'avoir disparu, tu crois pas ? Ils n'osent pas revenir jusqu'à ce que ce soit trop tard. Tu n'es ni ton père, ni ta mère, c'est à toi et toi seul de décider de ce que tu veux faire. Ne montre ni colère ni déception face à quelque chose dont tu ne sais rien.

Penny pouvait parler pour elle à demi mots mais elle n'y songeait pas. Ses parents ne regretteraient leur retraite que lorsqu'ils seraient morts et encore... ils étaient tellement habitués à la voir si indépendante et capable de tout gérer seule, ils avaient eu une telle vie de dur labeur qu'ils avaient aussi eu le droit de profiter, non ? Elle eut un sourire amusé en penchant la tête.

– Je viendrai avec toi. Même si ça signifie quitter ma petite ville.

[Ca va mieux quand on a dormi et qu'on est dans son élément personnel, quand même, t'as vu ! Je m'en voulais des posts merdiques que je faisais récemment !]

Entendons-nous bien. Dans "dessert", Penny y voyait tout autre chose, ce qui expliquait probablement cet immense sourire qui se dessinait petit à petit sur son visage. Elle avait 24 ans maintenant et ne pensait à présent plus qu'à ça. De plus, elle avait verrouillé sa cible sur Hayden. Il fallait comprendre sa situation. Plus que l'envie d'être comme tout le monde, elle avait envie de savoir de quoi elle parlait et de plus, Hayden lui apparaissait comme quelqu'un de parfait. De plus, elle s'imaginait bien passer un très bon moment avec lui et ce, sur plusieurs semaines qui pouvaient éventuellement se transformer en mois... Et en années. Oui, Penny était très optimiste malgré son histoire qui semblait bien étrange. Mais s'il avait été banal, elle ne se serait sûrement pas sentie si proche de lui à présent. Penny était curieuse et en plus de ça, joueuse. Quand bien même Hayden se verrait un peu lent à la détente, ce n'était sûrement pas pour rien qu'elle s'était habillée/maquillée/coiffée ainsi ce soir.

– Volontiers.

Elle passa ses deux bras autour de son cou et rapprocha son nez du sien pour le dévorer des yeux, toujours avec son sourire malicieux. C'était un petit peu comme la Saint Valentin. Vous savez ce que vous alliez avoir comme bague de fiançailles mais pour ne pas gâcher la surprise, vous faisiez celle qui ne savait rien, attendant impatiemment que votre moitié se décide enfin à cracher le morceau qu'on puisse sabrer le champagne. Prenant sa voix la plus suave, elle caressa son nez du sien.

– Et qu'est-ce que tu as préparé pour m'épater, cette fois ?

Pauvre Hayden, si seulement il savait...

Les baisers d'Hayden, comme celui-ci - et ce n'était pas le premier - c'était chaque fois plus étrange car c'était pour de vrai. Et ça la perturbait toujours un peu même si elle tentait de ne pas le montrer. Elle ne voulait pas s'emballer mais elle avait l'impression - un peu précoce - qu'elle était dans une vraie relation, cette fois, avec quelqu'un qui se souciait suffisamment d'elle pour la regarder pour qui elle était, Penny, et non ce qu'elle était, une simple fille un peu ringarde de la campagne. Elle sourit en le dévorant des yeux. Elle adorait les fraises et la chantilly encore plus. Dans son jardin, c'était plutôt des mûres, qu'elle avait et pas de fraises. Des mûres sauvages qu'elle adorait picorer quand elle était enfant à s'en rendre les ongles noirs. A force, elle en était devenue malade !

– J'adore les fraises...

Ou bien, c'était lui qu'elle adorait ! Pourquoi pas les deux. Elle fit glisser sa main dans son cou pour encadrer son oreille, ses doigts se mêlant à ses cheveux et lui sourit franchement de longues secondes avant de se lever d'un bond. S'il y avait des fraises dans le frigo alors il y avait une Penny dans la cuisine. Elle courut jusque là-bas gaiment et elle se mit à chantonner en fouillant le frigo pour en sortir les fruits et secouer la bombe de chantilly. De retour dans la salle à manger, elle posa tout entre eux en riant.

– Petite, avec Charlie, on adorait venir dans ton jardin quand vous étiez pas là pour chercher des fraises. On attendait que vous soyez partis je ne sais où et on sautait la clôture. On n'en a pas de notre côté, alors...

Elle s'assit et commença à disposer des fraises dans une assiette de façon méthodique, ses bracelets clinquant à chaque mouvement. Puis, elle secoua à nouveau la bombe pour faire un dessin dans son assiette. Une tête de bonhomme qui sourit. Elle croqua dans une des fraises du bol et planta le reste dans la mousse qui formait la bouche. Et dans un sourire bien fier, elle posa l'assiette devant lui, ses mains allant se serrer entre ses cuisses, sous la table. C'était un peu comme si elle lui offrait un cadeau et qu'elle avait hâte qu'il le déballe.

– Sans les mains !

Parce que forcément... Elle était joueuse, avec ça !

Penny n'aurait même pas parié qu'il se prendrait au jeu. Persuadée qu'il était assez rabat joie dans le genre "On ne joue pas avec la nourriture", elle s'attendait à ce qu'il râle un peu. Mais non, bien au contraire, il jouait le jeu. Penny sourit de plus en plus en le regardant faire. C'est qu'il était doué, à croire qu'il avait fait ça toute sa vie. Elle rit à cette candeur qu'il dévoilait avec elle. Etait-ce son oeuvre à elle ou bien était-il comme ça réellement et qu'il l'autorisait à le voir ?

Quand ce fut son tour, Penny rit à nouveau et elle passa ses cheveux devant une seule épaule, les entortillant pour pouvoir se pencher sur la table sans qu'ils baignent dans la crème. La bouche entrouverte, elle riait toujours quand elle alla chercher son morceau de fraise. Mais elle aurait dû bien se dire qu'il ne resterait pas là à la regarder jouer à l'enfant à table. Elle crispa les yeux en voyant sa main du coin de l'oeil, n'ayant pas le temps de réagir que son nez était dans la chantilly. Elle inspira profondément et se redressa, les mains levées. Elle tourna la tête vers lui, l'air sérieux avec son bout de nez blanc. Il ne lui manquait que des moustaches !

Et d'un coup, il lui sauta dessus, un genoux sur ses cuisses pour se mettre en hauteur par rapport à lui et elle commença à le chatouiller en riant, frottant sa tête crémeuse contre la sienne. Hey, une fille devait faire face à ses propres revanches ! Et elle avait du répondant ! Elle se retourna pour prendre la bombe et se mit à le menacer, le grand sourire aux lèvres.

– Alors ? Tu implores mon pardon ou je te gave pour mieux te manger ensuite. Attention, il y a de fortes chances que je ne plaisante pas. J'ai très faim, tu sais et tu m'as l'air bigrement appétissant !

Elle secoua alors la bombe, la dressant au-dessus de sa tête.

Penny poussa un cri en passant sur son épaule. Elle commença à agiter les pieds et lui tapota les fesses énergiquement en le traitant d'énergumène, qu'il allait voir, ce qu'il allait voir. Mais une fois dans le fauteuil, Penny se tut et releva un regard étrange sur lui. Et puis elle se mit à sourire. Penny adorait la chantilly alors il pouvait bien l'en recouvrir... Elle rit et ouvrit grande la bouche pour recevoir son dû.

Elle ne pouvait jamais jouer avec son frère comme ça. Il n'aimait pas vraiment qu'on le touche et qui plus est, il n'aimait pas trop ça. Et n'ayant pas de soeur, Penny avait dû se trouver d'autres jeux. Elle ne songeait même plus à la suite probable des événements. Elle avait toute l'attention d'Hayden et c'était ça qui importait le plus, finalement ! Elle aimait bien quand il était provocateur. Du moins, quand il l'était pour s'amuser.

– Pardon, mille pardon, je ferai ce que tu veux !

Assurément pas une bonne idée... Penny n'était pas du tout sincère et elle riait en demandant pardon mais ça faisait partie du jeu. Et puis pour Hayden, elle se mettrait bien à genoux.

Et dire que Penny voulait juste passer du bon temps sans se poser de questions, c'était Hayden qui se les posait pour deux ! En riant, elle tendit doucement sa main pour prendre la sienne. Elle adorait ce jeu ! Hayden avait le sens de l'humour et de la répartie. Il n'était pas vide, il était dynamique et on ne s'ennuyait pas avec lui. Penny ne s'ennuyait pas avec lui. Elle sourit un peu plus alors qu'il se penchait pour l'embrasser. Dans sa tête, elle pensait à un baiser innocent - quoique annonciateur ? - alors elle gigota légèrement des doigts pour les mêler aux siens avec juste l'envie de l'embrasser tendrement. Mais Hayden avait d'autres plans et quand elle entendit la bombe et qu'elle sentit la crème sur son visage et ses cheveux, elle poussa un cri en sursautant et se figea, les bras et les mains ouverts. Elle attendit qu'il ait fini et qu'il s'asseye à ses côtés pour tourner lentement la tête vers lui.

Elle était estomaquée qu'il ait pu s'en prendre à elle ainsi. La bouche grande ouverte, elle suivit son doigt passer sur son nez pour lui enlever de la crème. Elle s'humecta les lèvres, se lécha les pouces de chantilly. En silence. D'abord, elle mangeait son dessert, elle s'occuperait de Hayden après. Une fois chose faite, elle fit danser ses sourcils d'approbation. C'était une excellente crème. Et voilà son repas terminé. Bien ! Voilà une bonne chose de faite et elle lui répondit enfin.

– A toi de voir...

Si Hayden ne captait pas ce regard-là, il n'en capterait aucun. Et ce sourire qui grandissait doucement sur ses lèvres. Elle se décala légèrement et tapota brièvement à côté d'elle pour qu'il se laisse glisser près d'elle.

Penny avait toujours été un peu rock n' roll sur les bords. Derrière ses airs de jolie fille, elle était un peu rebelle en prime. Si la jeune femme avait tant de facilité avec les gens, c'était pour son adaptation aux situations. Soyez hostile avec elle, elle le sera également. Plus les gens étaient tendres avec elle, plus elle l'était avec eux. Shahid lui apportait complicité, Harry faisait appel à son côté mystérieux et calme et Hayden révélait son côté plus... dynamique, plus franc. Ce que les gens ignoraient, c'est qu'avant d'être cette boule à facettes, Penny était avant tout un esprit libre avec sa propre volonté et son caractère indépendant. Elle s'était adaptée pour survivre mais la personne qu'elle était avec Hayden était finalement ce qu'elle avait toujours voulu être : elle-même ! Elle n'avait pas très envie qu'il sache, d'ailleurs, qu'elle s'était adaptée à lui, quelque chose lui disait qu'il n'aimerait pas trop savoir qu'elle avait été superficielle à son égard. Pas qu'elle avait tenté de le manipuler, ou de l'amadouer, ce n'était pas du tout son genre ni dans son caractère. Mais elle ne voulait pas qu'il pense l'apprécier pour avoir été quelqu'un d'autre. Mais à bien y réfléchir, c'est quand elle avait été plus "elle-même" que Hayden lui avait accordé un réel regard, plus attentif. En son fort intérieur, Penny pensa qu'il ne l'aurait probablement pas remarquée si elle avait cette douce et charmante jeune femme que tout le monde appréciait parce que... Et bien parce qu'elle ne faisait pas de bruit et ne dérangeait personne. On appréciait Penny parce qu'elle était bien rangée dans les cases, ce qu'elle détestait, finalement.

Alors, quand on a 24 ans et qu'on a été "dans les cases" tout ce temps mais que quelqu'un, enfin, semble vous apprécier pour ce que vous êtes réellement, vous avez tendance à éprouver une confiance quasi aveugle et à vous laisser porter par ce qui vous fait envie depuis un bon moment, et tant pis pour les autres. Si on fait une erreur, on sait que sur l'instant, ce n'en était pas une et qu'on a été fidèle à soi-même. Et si on fait une erreur... Bah, c'était pas non plus la fin du monde ! Quant à Penny, ce n'était pas comme si elle avait pris le premier qui venait contrairement à la plupart de ses "copines". Non, elle était contente parce que justement, elle était convaincue d'avoir fait le bon choix, quand bien même elle n'était pas éperdument amoureuse. Et alors ! Elle tenait à lui et elle se sentait très proche de lui, c'était, pour Penny, une raison parfaitement suffisante.

Ses seuls doutes furent d'être face à quelqu'un comme Hayden. Pour être à la hauteur, Penny avait tenté de ne rien montrer, de ne pas se poser trop de questions. Mais finalement, il avait pris les choses en main et sa confiance en lui l'avait bien apaisée. Penny avait été en charge des gens et de sa vie depuis si longtemps que pour une fois, quelqu'un qui la prenait en charge, elle, c'était plus que salvateur et elle s'était volontiers laissée faire sans jamais protester. En fait, Hayden lui apportait autant d'équilibre que de chaos. Il chamboulait sa vie et en même temps il la régulait, c'est tout ce dont Penny avait besoin : qu'il se passe enfin quelque chose qui change dans sa vie. Et cette dernière, elle la mordait à pleines dents.

Pas de parents sur le dos, pas de frère à s'occuper, c'était presque cruel de penser que Penny n'était heureuse que maintenant, après tous ces événements horribles. Mais elle avait beaucoup donné et c'était aujourd'hui un rendu qu'elle avait mérité, selon elle. Alors quand elle rouvrit les yeux à cause d'une forte lumière qui dansait devant ses yeux, il lui fallut un long moment pour se rappeler où elle était et surtout avec qui. Ses cheveux entravaient sa vue, sa tête enfouie dans un coussin, et elle cligna des paupières pour se remémorer les événements qui avaient pu la conduire dans un environnement dont elle ne connaissait pas l'odeur. Elle porta sa main à son visage pour se frotter les yeux avant de percuter.

Soudain, elle se redressa sur les coudes, à plat ventre sur le lit et elle leva le menton pour regarder autour d'elle en se demandant où elle était. Il fallait imaginer une Penny grognon et boudeuse avec les sourcils froncés.