Il avait réussi à énerver Shannon, au même titre qu’il ne fallait pas toucher à l’Irish pour lui, il ne fallait pas mettre en doute la confiance que sa nièce mettait en elle. Un verre de bière plus tard, qui n’était pas dans son estomac, Jack avait quitté le restaurant à son tour, laissant l’argent qu’avait mis Shannon. Ca payait les repas non mangés et la monnaie… Il s’en foutait. Dehors, avec cette désagréable sensation d’être collant, il n’avait pas pu s’empêcher de prendre son téléphone portable. Un message, à Penny, lui demandant s’il pouvait passer la voir chez elle après son service, fût envoyé. Fallait qu’il parle à quelqu’un, c’était carrément trop bizarre et, surtout, il fallait que ce soit elle. Shannon, avec toute la bonne volonté qu’elle avait voulu y mettre ne faisait pas le poids contre Penny.

Jack profita du temps qu’il avait pour aller se laver et se changer suite à l’attaque de bière, hors de question de rester comme ça. Il roula des yeux, c’était quand même un putain de gâchis ! L’histoire avec la journaliste le travaillait quand même et il était déjà en train de reconsidérer le fait d’aller parler à George. Dans tous les cas, s’il devait le faire, il ferait en sorte de ne pas passer par Shannon, aucune envie de lui prouver qu’il pouvait faire un effort. Si Jack devait aider quelqu’un, c’était cette gamine, pas sa tante. Il avait besoin d’y réfléchir parce que là, il n’en savait rien sans parler de ce qui venait de se passer à l’Irish. Toute l’histoire Shannon aurait pu être prise de manière bien plus catastrophique si Jack n’avait pas été préoccupé par cette vision étrange qu’il avait eue.  

Un regard à l’horloge et il quitta son appartement dans ses nouveaux vêtements, jean, t-shirt et veste à capuche pour ne pas changer. Installé dans sa voiture, il prit la direction de là où vivait Penny et, franchement, il fallait vraiment qu’il l’apprécie pour y aller. Ca faisait un moment que, dès qu’il le pouvait il évitait la direction du Tor, peut-être qu’il croyait qu’en s’éloignant de cet endroit, les choses se calmeraient. Utopie pourrie ! Heureusement qu’il n’y avait pas grand monde à cette heure-ci, sur la route, parce qu’il avait tellement de choses qui lui passaient en tête que se concentrer sur la route tenait du miracle. Il arriva quand même en un seul morceau et gara sa voiture avant de marcher jusqu’à sa porte où il frappa.  La porte fut à peine ouverte que Jack était déjà en train de s’agiter les deux mains un peu relevées vers l’avant.

« Je sais qu’il est tard que t’as eu ta journée de boulot et tout mais… » Mais quoi ? Il reprit son souffle, soupira avant de laisser retomber ses mains et ses épaules. « C’est l’bordel… »

Il ne savait pas comment expliquer ça autrement mais, vraiment, il était désolé de débarquer comme ça a n’importe quelle heure. Peut-être qu’elle était fatiguée, qu’elle avait envie de rester seule et, en temps normal il aurait juste proposé un autre jour mais, pas là. Il n’avait qu’elle. Elle était la seule à qui il pouvait parler de ce qui s’était passé même s’il redoutait un peu cette conversation. Il lui avait déjà qu’il voyait des choses. D’ailleurs elle aussi. Mais, il avait peut-être oublié de préciser qu’il avait toujours des visions et que là, ça venait de partir en sucette de la manière la plus incompréhensible.  Il passa la main sur sa nuque, la tête un peu baissée et un air navré sur le visage.

« J’suis désolé mais, si tu veux bien m’accorder un peu de ton temps ? »

Il avait relevé les yeux vers elle sur la fin de sa phrase, tout son visage implorant presque qu’elle accède à cette demande dans un s’il te plaît qu’il n’avait pas su prononcer mais qui était plus que visible sur son visage. Il savait qu’il pouvait compter sur elle, ça avait toujours fonctionné dans les deux sens entre eux mais, ça n’empêche qu’il avait toujours un mal fou à demander de l’aide à quelqu’un d’autre.

Depuis sa première soirée avec Hayden, Penny avait pris la décision de réintégrer sa maison à temps plein. Après près de 6 mois passés à vivre chez Harry pour ne pas se sentir seule, sa situation ayant changé, elle voulait en profiter pleinement, acceptant par la même l'absence de ses parents ainsi que celle de son frère. Elle gérait moins bien la seconde mais elle avait acquis le fait qu'elle était bien trop impuissante. Et Harry avait promis de faire tout ce qu'il pouvait pour le ramener, lui, et les autres personnes atteintes de l'épidémie d'Halloween. Aussi, la jeune femme avait repris ses habitudes. Le soir, quand elle rentrait, elle regardait la lumière chez Hayden, qui vivait non loin en face. Sa nouvelle vie, seule chez elle, elle n'y était pas encore habituée mais elle s'y faisait, petit à petit, et y prenait doucement goût. Comme avec ce message de Jack. Si elle avait été chez Harry ou avec Hayden, ils n'auraient jamais pu être tranquilles !

Si Penny s'était doutée un instant de la valeur qu'elle avait pour Jack, elle n'aurait probablement pas pris son message à la légère. Elle s'était changée, un bandeau dans les cheveux et un pull de l'équipe de basket de Harry qu'il lui avait donné car trop petit, ainsi qu'un pot de glace dans les mains. Quand elle ouvrit la porte, sa cuillère dans la bouche, elle haussa les sourcils devant sa visible précipitation. Et bien quoi ? Il semblait essoufflé comme s'il venait de courir un marathon et puis il semblait pressé. Qu'avait-il de si urgent à lui dire à une heure pareille ? Penny se décala pour le laisser passer et lui montra le chemin de sa cuillère.

– Je t'en prie...

Elle ferma la porte derrière lui et fronça les sourcils avant de le regarder.

– Qu'est-ce qui se passe, Jack, tu as l'air d'avoir vu un fantôme, tout va bien ? Tu veux un café, un thé, quelque chose ? J'ai réintégré mon cottage il y a quelques jours mais j'ai fait les courses alors, j'ai...

Et dans la cuisine, elle se mit à faire l'inventaire de ses fantaisies. La maison de Penny était vieille, avec un plafond bas, des espaces relativement étroits, des pierres et poutres apparentes et un mobilier tout aussi ancien. Sa table de salon n'en était même pas une, c'était une sorte d'immense tabouret rectangulaire et moltonné dont la housse était assortie au fauteuil et au canapé. Celui-ci faisait dos à une bow-window, situé à la gauche de l'entrée et la cuisine à la droite. Aussi minuscule soit la maison, ses WC se trouvaient même sous les escaliers où chacun devait obligatoirement baisser la tête sans quoi, il manquait d'être décapité par le montant de la porte. Mais somme toute, la maison, avec sa vieille cheminée, paraissait accueillante et chaleureuse. Toute de bois, de pierre et de coton, même la cuisine avait un électroménager qui fonctionnait encore par miracle. Mais des comme ça, ici, ça faisait rare. Penny tira une chaise de la table de cuisine pour qu'il s'installe pendant qu'elle faisait chauffer de l'eau. Rangeant son gros pot de glace, qu'il veuille un café ou du thé, il aurait l'un ou l'autre. Alors qu'elle tendait le bras pour ouvrir un placard et y attraper une grosse boîte de divers parfums de thé, elle regarda par dessus son épaule pour y voir Jack.

– Je t'écoute ?

Croyez-le ou non, c’était assez perturbant de se faire inviter à suivre une direction par une petite cuillère. Mais peu importe, il pouvait entrer – enfin combien même ils seraient resté dehors, ça ne lui aurait pas posé plus de problèmes -, Jack soupira, soulager avant de passer le pas de la porte. Ses yeux se portèrent sur les pieds de Penny pour voir si elle portait ses chaussures ou pas. Si ce n’était pas le cas, la première chose qu’il aurait faite était d’enlever les siennes. Si elle avait toujours ses chaussures… Oui, bin en fait, il enleva les siennes quand même par réflexe ou dans le doute. Il n’avait déjà pas envie de déranger, ce n’était pas pour foutre de la terre partout dans la maison.

Oui, il avait envie de lui parler mais il avait aussi besoin de son attention. Il avait secoué les mains pour dire qu’il ne voulait rien mais Penny avait déjà la tête dans un de ses placards, ne voyant pas son refus. Il leva les yeux, la tête aussi un peu en faisant mine qu’il allait l’étrangler. Ce qu’il ne ferait pas, bien sûr. De toute façon il était derrière elle alors, à moins qu’elle ait des yeux derrière la tête, il n’y avait aucune chance qu’elle puisse voir ce genre de geste. Quand elle tourna la tête pour lui dire qu’elle l’écoutait il secoua doucement la tête dans un sourire. Non, elle s’occupait de lui préparer quelque chose, ce qui était un peu différent.

Ok, deux pas en avant, il était derrière elle, tendant le bras pour récupérer la boite de thé qu’elle avait pris. Boite qu’il reposa à sa place avant de mettre une main sur l’épaule de Penny pour qu’elle se retourne et, là, face à elle, un sourire sur les lèvres.

« Promis. Je ne veux rien. » Sa main quitta l’épaule de la jeune femme pour descendre cherche sa main « Suis-moi. »

Il passa devant l’eau qu’elle avait mise à bouillir pour l’arrêter et l’entraina avec elle jusqu’à la chaise qu’elle avait sortie pour l’installer dessus avant d’en prendre une à son tour. Il s’installa en face d’elle, les coudes sur ses genoux, les mains relevées un peu devant lui, il se mit à réfléchir pour mettre ses idées en ordre.

« Écoute Penny, j’ai vraiment besoin que tu m’aides là parce que, j’te jure j’sais pas ce qui se passe. »

Il avait désigné, de son index une de ses tempes comme pour dire qu’il avait un sérieux souci, que son cerveau ne tournait plus très rond et qu’il risquait de devenir complètement dingue si ce bordel ne s’arrêtait pas tout de suite. Et c’est dans ce genre de réflexion qu’il pensa à ce qu’il venait de faire. Sans prévenir, sans aller plus loin, il redressa le dos pour regarder derrière lui, là où était le placard, l’eau qui avait commencé à bouillir avant de s’arrêter et… merde ! Il tourna à nouveau la tête vers Penny, les deux index, de ses deux mains par-dessus son épaule pour désigner ce qu’il venait de regarder.

« Excuse-moi »

Bravo Jack, belle entrée en matière. Débarquer à pas d’heure, demander à lui parler et ne même pas la laisser faire ce qu’elle voulait. Sérieusement, il allait vraiment devenir complètement dingue à ne pas avoir de réponse. Finalement, peut-être qu’accepter l’aide de Shannon n’était pas une mauvaise idée… Il stoppa le fil de ses pensées, tout s’embrouillait ça ne devenait pas bon.

« T’avais peut-être envie de quelque chose… »

– Mais...

Penny le vit lui prendre la boîte et l'éloigner d'elle, puis lui prendre la main et l'attirer avec lui. Elle trottina jusqu'à la chaise et se laissa asseoir, les sourcils hauts. Qu'est-ce qui pouvait bien lui arriver ? Alors que tout tournait dans sa tête à pleine vitesse, Penny dévisagea son ami en cherchant à comprendre. Qu'est-ce qui pouvait bien le stresser à ce point ?

– Jack !

Elle leva une main pour récupérer son attention alors qu'il regardait autour d'eux. Bien sûr qu'elle préparait quelque chose, Jack prenait toujours quelque chose quand ils discutaient tous les deux, non ? C'était bien plus convivial et puis les soirées étaient encore un peu fraîches, c'était agréable un thé chaud. En tout cas, c'était toujours ce que sa maison lui inspirait : de la chaleur conviviale. Le vide et le silence ne lui faisait plus peur, aujourd'hui, elle l'appréciait même. Et puis voilà qui la frappa. Sa vie avait changé récemment. Elle se prenait bien plus en main et tout le monde la trouvait bien plus épanouie maintenant. Et puis il y avait Hayden. Alors elle pencha la tête en comprenant pourquoi il était là. Elle sembla désolée en lui prenant les mains pour se rapprocher de lui et elle serra ses doigts dans les siens.

– Oh Jack... Je vois... Je sais ce que tu veux me dire, mais c'est impossible.

Elle posa une main sur son visage en lui souriant, en l'honneur de leurs moments passés ensemble. Doucement, elle lui caressa la joue de son pouce.

– Tu me vois avec Hayden et tout, alors tu te dis que finalement, ça aurait été pas mal tous les deux, tu as de la nostalgie, j'imagine. Mais on sait pourquoi ça n'a pas marché toi et moi et ça ne changera rien. Mais je serai toujours ton amie et tu pourras toujours compter sur moi, je ne prévois pas de m'en aller pour l'instant !

Quand Penny comprendrait sa fausse route, elle se cacherait dans ses toilettes de Pollypocket pour ne plus jamais en sortir. Lui souriant toujours néanmoins, elle se leva et le contourna pour aller arrêter l'eau qui sifflait. Elle lui frotta le torse affectueusement alors qu'elle passait un bras autour de lui pour lui embrasser la tempe.

_ Je vais te faire une bonne tisane et tout ira mieux, on peut se regarder un truc si tu veux ! Qu'est-ce que tu en penses ?

Elle voyait. Fabuleux. Fantastique. Il était même en train d’en sourire parce que c’était parfait. Il ne savait pas comment aborder les choses, encore moins comment ouvrir le sujet mais… Elle savait. Les choses allaient être tellement plus simples. Tout l’était avec elle, de toute façon. Il s’autorisa à respirer, soulagé dans un sens quand elle commença à lui dire que c’était impossible. Euh… Ok… Et là, elle parlait de quoi ? Une main sur son visage. Bon, clairement, il avait loupé un épisode mais comme il n’arrivait pas à saisir lequel, il se contenta de la regarder, un air interrogatif sur le visage.

Puis tout prenait un sens, il l’avait écouté, interrogatif avant de comprendre ce qu’elle pensait savoir. Il baissa la tête ce qui pouvait être prit comme une confirmation face à tout ce qu’elle venait de dire mais pas du tout. Penny était Penny, personne ne pourrait prendre sa place mais il savait très bien pourquoi les choses n’avaient pas fonctionné et, honnêtement, il n’avait pas changé d’avis. Etre avec elle c’était quelque chose de presque incestueux. Ce fut plus fort que lui, il éclata de rire. Ce n’était pas contre elle mais la tension des dernières heures, le fait d’avoir pensé qu’ils parlaient de la même chose et son explication. Cela dit son rire se fit à retardement, en fait, il arriva au moment où elle avait ses lèvres contre sa tempe. Il se releva, s’extirpant du bras de Penny pour se mettre face à elle.

« Penny, tu sais quoi ? » Il l’attira un peu vers lui et déposa un baiser sur son front. « J’t’adore. »

En une explication –bien qu’à côté de la plaque- elle avait trouvé le moyen de virer ces tensions qu’il avait dans les épaules depuis quelques heures. Il ne disait pas qu’il allait mieux, qu’il ne se posait pas autant de questions mais, au moins, il avait l’air d’être un peu moins à cran. Il la relâcha pour qu’elle puisse aller s’occuper de toutes les tisanes qu’elle voulait, peut-être même qu’en fait ce n’était pas une si mauvaise idée que ça. Cela dit, il allait quand même devoir répondre à ce qu’elle avait pu lui dire.

« Je te rassure, je n’ai pas d’instant nostalgique et puis… » Il la désigna dans un sourire « Tu as l’air bien, enfin je veux dire, avec ce type alors… Fonce. » Il plissa les yeux quand même, avec un léger sourire. « Mais tu veux dire quoi en disant que tu ne comptes pas partir pour l’instant ? »

Est-ce qu’elle envisageait de le faire dans un futur plus ou moins proche ? D’un côté fallait bien qu’elle fasse sa vie, il n’avait pas de problème avec ça tant qu’elle était heureuse. Mais il allait changer de place, au lieu d’être derrière le bar, il allait finir devant à s’enfiler des bières pour survivre à ce départ.  En fait il spéculait sur quelque chose alors qu’il ne savait même pas comment il y réagirait et, franchement, il n’avait pas tellement envie d’y penser. Alors, puisque cette histoire de tisane avait l’air importante l désigna la cuisine d’un mouvement de tête.

« Vas-y, prépare nous ce que tu fais si bien »

Un sourire, un clin d’œil, il n’avait rien oublié des raisons qui l’avait trainé ici. Mais, ça pouvait attendre un peu.

Quand il éclata de rire, Penny sursauta et ouvrit de grands yeux en suivant son mouvement du regard, jusqu'à ce qu'il soit face à elle pour lui embrasser le front. Qu'avait-elle bien pu dire pour le faire rire à ce point ? Aucune idée mais voilà qu'il se gaussait bien en tout cas.

– Moi aussi, mais...

Penny releva les yeux sur lui avec plein de questions dans le regard. C'était appréciable d'avoir la bénédiction de Jack concernant Hayden mais elle n'était pas sûre que ce soit qu'il avait eu envie de lui dire. Cependant, elle s'en voulait de ne pas avoir parlé à Jack de Hayden avant. Elle se sentait coupable de ne pas avoir partagé ça avec lui et d'avoir "foncé" avant même son accord. C'était son ami, pourtant non ? Mais elle avait voulu garder ça pour elle. Peut-être pour se donner une chance d'avoir ce qu'elle voulait, pour une fois et que personne ne se mette à jouer les "frères" avec elle, pour changer. C'était précisément le problème avec Jack, d'ailleurs.

_ Bah, je...

Penny était totalement perdue et ne comprenait rien à ce qui se passait. Si Jack n'angoissait pas pour ça, alors pour quoi ? Selon sa propre vision, tout allait bien dans le meilleur des mondes qui connait des disparus.

_ Je n'en sais rien, peut-être un jour je partirai, oui.

Penny n'en avait aucune envie mais après tout, maintenant qu'elle avait Hayden, elle irait partout où il irait. Et qu'arriverait-il le jour où il déciderait de retrouver sa mère ? Quand il désigna la cuisine, Penny se tourna pour regarder derrière elle et balbutia en clignant des yeux. Elle jeta un oeil incompris à Jack puis elle sortit deux grosses tasses pour les poser sur la table. Elle lui aurait bien préparé son chocolat chaud spécial mais il faisait bien trop chaud, l'hiver était loin, à présent.

– Et euh... Si ce n'est pas de ça que tu voulais parler, alors de quoi ?

Elle posa la tasse devant lui avec la boîte de café et celle de thés puis elle s'installa en face de lui en baissant les manches de son pull jusqu'à couvrir presque entièrement ses doigts.

Il n’y avait pas de raison apparente pour que Jack soit contre un Penny/Hayden, en fait, il n’en savait rien, il ne le connaissait pas. Peut-être qu’il aura un avis contraire quand ça serait le cas, peut-être même qu’il aura envie d’éclater la tête d’Hayden sur un comptoir s’il faisait du mal à Penny. Mais là, enfin, il suffisait de la voir, elle n’avait pas l’air malheureuse. En fait, elle avait même l’air plus épanoui. Quel ami il ferait s’il cherchait à détruire ça ? Quel avis pouvait-il donner sur une situation dont elle ne lui avait même pas parlé. D’ailleurs, est-ce que ça cachait quelque chose ? Il n’en savait rien, de toute façon, à l’heure actuelle, il ne savait pas grand-chose. Il défiait qui conque de survivre avec le cerveau qu’il avait depuis ce soir !

« Comme tout le monde, je suppose. »

il avait souri, se voulait rassurant, tout en se demandant pourquoi lui n’était pas parti après tout ce bordel ? Ça aurait pu être la solution la plus simple, partir loin de cet endroit, recommencer ailleurs, oublier cette histoire de disparition. Mais il y avait l’Irish et, surtout, il y avait cette fille et son bonnet rouge. Qu’est-ce qu’il pouvait faire dans ces conditions ? Il était bien incapable de partir loin de tout ça.

La laissant préparer tout, il alla s’installer à nouveau avant de poser son regard sur la tasse qui était devant lui, Penny s’interrogeant sur le motif de sa venue. Les doigts de Jack venaient de s’enrouler autour de la tasse vide qu’il n’avait toujours pas eu envie de remplir. Dans ce genre de moment, où il ne savait pas ce qu’il voulait faire, le mieux était encore d’attendre qu’il se décide. Il leva les yeux vers Penny.

« Tu te souviens cette discussion qu’on a eue sur ce que tu voyais, ce que je voyais ? » Il aurait pu attendre une confirmation de sa part mais, il avait peur qu’en s’arrêtant il ne trouve plus le moyen de continuer. « Je crois que je n’ai pas été tout à fait honnête avec toi. » En fait ça dépendait de ce qu’on mettait derrière le mot honnête. Techniquement parlant il avait juste omis de dire certaines choses. « Ça s’est jamais arrêté, en fait. »

Il était en train de faire tourner la tasse entre ses mains, d’ailleurs, il avait même fini par poser son regard sur cet objet. Ça valait mieux que la regarder elle en lui disant qu’il ne lui avait pas tout dit. D’un autre côté, il n’était pas le seul à garder certaines informations pour lui. Suffisait de la voir avec Hayden, parce qu’il avait beau réfléchir, il n’avait pas souvenir de la moindre discussion à ce sujet. Il releva la tête, alla chercher son regard pour finalement laisser passer une dernière phrase dans un souffle.

« Et, je crois bien que ça empire… »

le problème était bien là, il croyait, il n’en était pas certain. Il ne savait rien, ne comprenait rien et ne pouvait même pas se décider sur comment interpréter ce qui s’était passé un peu plus tôt à l’Irish. Ça avait vraiment été une connerie de se barrer avec Shannon, c’est chez lui qu’il aurait dû aller. Non seulement il se posait des questions mais, la journaliste lui en avait mis encore plus en tête avec l’histoire de George.

Alors Jack se mit enfin à parler. Fronçant les sourcils, Penny l'écouta sans rien dire. Elle était curieuse et en même temps pas certaine de savoir où il voulait en venir, surtout quand il parlait de visions. Voilà un moment qu'elle n'en avait pas eues, d'ailleurs. Mais cela s'était calmé depuis que son frère avait été emmené par les hommes du gouvernement, soit disant un quarantaine. Mon cul. En écoutant Jack, Penny finit par secouer la tête.

– Qu'est-ce que tu veux dire par "ça empire" ?

Penny n'avait jamais vu la même chose que Jack, bien qu'elle le croit. Et elle était très loin de s'imaginer qu'il puisse voir autre chose que des visions fugaces d'un autre Tor ou des femmes en bleu, comme Andrea, par exemple. C'était pourtant elle qui avait tout déclenché ou presque avec ce morceau de miroir près du Tor. Penny se souvenait très bien de cette discussion qu'ils avaient eue. Ils l'avaient tenue une fois. Et puis c'était tout. Ne souhaitant en parler, finalement, ni l'un ni l'autre, ils avaient gardé ça pour eux. Chacun savait que l'autre était perdu mais avaient composé d'une manière différente. Hayden s'était montré très présent à partir de ce moment et Jack était passé... A la trappe. Elle s'en voulait, d'ailleurs mais la disparition de son frère l'avait totalement chamboulée, elle avait été dans une chambre noire pendant des semaines avant d'exploser. C'était là que Hayden avait posé les mains sur son visage pour la calmer, lui dire qu'il la croyait. Depuis elle avait nourri un fort intérêt pour son voisin qui avait muté, avec du temps, en une attirance certaine. C'était sûrement pour ça qu'elle n'avait rien osé dire à Jack. Elle ne se sentait pas au clair à avoir "omis" de parler de tout ça avec lui alors qu'il était presque... Son meilleur ami ! Elle ne s'imaginait pas qu'il puisse ignorer une partie de sa vie, et pourtant. Elle haussa finalement les épaules.

– Ca veut dire que tu vois toujours... un Tor différent ? Que tu as l'impression d'être mouillé tout le temps ou que... Tu te retrouves dans le noir alors qu'il fait grand soleil dehors ?

Penny regarda par dessus l'épaule de Jack, visant le porte manteau près de la porte d'entrée. Il n'y avait pas que Hayden dont elle n'avait rien dit... Elle reporta son regard sur son ami. Non pas qu'elle se sentait piégée mais en tout cas, elle assurait moins que s'il s'était contenté d'un "Penny, tu me manques, je veux retenter quelque chose avec toi."

Il hocha la tête, oui il voyait toujours un Tor différent. Mais, très vite, c’est un regard à la fois perdu et interrogateur qu’il afficha, ne comprenant pas trop cette histoire de se sentir mouillé ou dans le noir. Secouant la tête, il interrogeait Penny du regard. De quoi elle parlait ? C’était comme ça qu’elle vivait ses visions ? En fait, il en venait surtout à se demander ce qui avait pu leur arriver à tous les deux. Depuis quand ils ne se comprenaient plus, ils ne se parlaient plus et loupaient un tas d’épisodes vis-à-vis de l’autre ? Il n’avait rien dit à Shannon parce qu’il ne concevait pas le fait que ce ne soit pas Penny qui soit la première au courant. Une réciprocité dont il commençait sérieusement à douter et, là, il s’en voulait. Bien que Penny fût à des sommets dans son estime, il commençait doucement à se dire que Shannon aurait pu mieux le comprendre. Il détestait penser de cette manière.

Peut-être que c’était de sa faute, qu’il n’avait pas été assez présent. Peut-être même qu’il avait merdé quelque part sans même le savoir, sans qu’elle lui dise. Ou peut-être que c’était seulement elle qui avait cessé de lui dire les choses, son histoire avec Hayden en était la preuve. Il avait volontairement attaqué Shannon en lui parlant de George et, là, il commençait à le regretter parce qu’elle lui avait parlé, parce qu’il avait sa tête de mule pensant que Penny était la seule à pouvoir comprendre. Il avait beau dire qu’il se foutait de l’histoire de Penny et d’Hayden, que ça ne lui posait aucun souci. C’était vrai mais, le fait qu’elle n’en ait pas parlé donnait une impression de fossé entre elle et lui. Un fossé dont il n’arrivait pas à faire abstraction.

Il fallait comprendre quelque chose de simple avec Jack : Ses visions il n’en avait parlé qu’une seule fois et c’était avec Penny. Ce qui venait de lui arriver, il n’en avait pas encore parlé. Le sujet était sensible, personnel, il le craignait dans un certain sens et ne se voyait pas le dire à quelqu’un en qui il avait une confiance absolue. Ce fossé imaginaire cassait le côté « absolu ».  Comment pouvait-il parler de quelque chose d’aussi important quand, elle-même ne voyait pas l’intérêt de lui parler de quelque chose d’aussi important que sa relation avec Hayden ? Shannon était ce qu’elle était – une image surement faussée par ce qu’il pensait des journalistes – mais elle avait au moins eu le mérite de se confier sur sa nièce qui lui était importante. Et, aussi mal que ça pouvait faire, Penny venait de l’aider à prendre une décision sans même le savoir. Il irait voir cette gamine.

« Non, je veux dire que ça arrive de plus en plus souvent et que ça commence juste à me rendre dingue de ne pas comprendre et de ne pas savoir. »

Il avait souri tout en pinçant ses lèvres doucement. Ca le rendait vraiment dingue de ne pas comprendre et, en même temps, il avait l’air désolé de venir ennuyer Penny avec ce genre d’histoire parce qu’elle ne devait pas avoir plus de réponse que lui.

« C’est juste que je ne sais pas pourquoi j’ai toujours ses visions et… Pfff, enfin y a eu Shannon qui m’a posé un tas de questions auxquelles je n’avais pas envie de répondre et, je ne sais pas, je me suis dit qu’il fallait que je vienne pour t’en parler. Et, tu vois, maintenant que je suis là je me dis que ça pouvait bien attendre demain, que ce n’était pas si urgent que ça. » Il posa son regard sur elle « Mais c’est quoi cette histoire de se sentir mouillé ou d’avoir l’impression d’être dans le noir ? »

Penny porta son mug à ses lèvres en fronçant les sourcils. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? C'était étrange, comme s'ils se connaissaient et qu'ils étaient soudain étrangers l'un pour l'autre. Ce n'était pas Hayden, c'était quelque chose d'autre. Ils ne parlaient pas de la même chose. Penny n'avait pas parlé de l'aspect mouillé ou ténébreux, c'était son frère qui avait ressenti toutes ces choses, elle n'avait vu qu'un Tor différent. Et puis il parla de Shannon. Redressant la tête, Penny posa son mug et le fixa, comme si elle attendait la suite. Elle l'avait vu partir avec la journaliste et Shahid et elle avaient attendu un verdict. Penny pensait qu'il venait pour ça ! Mais... Non ? Elle tiqua en fronçant les sourcils. Jack voulait parler mais il ne disait rien. La rouquine était totalement perdue. Elle balbutia avant de se frotter un oeil.

– Jack...

Soupirant, elle ouvrit une main vers lui et reprit.

– Tu es venu parler mais je comprends rien à ce que tu dis. Quand on en avait discuté il y a des mois de ça, je pensais qu'on avait expérimenté les mêmes choses mais à t'entendre, on dirait bien que non. Tu sais, mon frère est peut-être autiste, mais il n'est pas débile. Il était très perturbé après les disparitions, il se mettait à chercher des serviettes dans toute la maison parce qu'il avait froid d'être mouillé. Et puis parfois, en plein jour quand on s'occupait du poney, il avançait à tâtons, je lui demandais pourquoi, il me répondait qu'il faisait trop sombre. J'en avais discuté avec le docteur Danko et il s'est avéré que mon frère n'était pas le seul dans ce cas mais que son autisme semblait le rendre bien plus sensible que les autres à ces phénomènes étranges... Pourquoi... Pourquoi tu n'as rien dit à la journaliste ?

Penny semblait vraiment intriguée. Pourquoi il n'avait rien dit ? Shannon était presque leur dernier espoir de comprendre ce qu'il se passait et Penny secoua la tête, presque déçue.

– Jack, qu'est-ce que tu vois ? A t'entendre, on ne voit pas la même chose, pourquoi n'as-tu rien voulu dire à Shannon ? Harry est surveillé de près au commissariat, Hayden n'est pas des mieux vu en ville, les Moonlight Ladies sont considérées comme des sorcières et le bar est un théâtre à événements paranormaux ! Shannon est la seule qui puisse avoir accès à des endroits où nous ne pouvons même pas imaginer mettre les pieds. Tout le monde l'adore, on lui donne le bon dieu sans confession, pourquoi tu ne lui as rien dit ?!

Penny pouvait sembler s'énerver mais ce n'était pas le cas, elle était pendue aux lèvres de Jack. Ses lèvres se mirent à bouger sans qu'elle ne trouve les mots avant qu'ils ne sortent un peu dans le désordre.

– Tu... Tu as vu ces gens disparaître, et tout le monde sait que rien n'est un hasard ici. On n'a pas les réponses mais... Harry dit que les témoins des disparitions voient des choses particulières. Tu dois parler à cette femme. Si elle n'est pas venue vers toi, ce n'est sûrement pas pour prendre un verre. Sans vouloir t'offenser ? Tu as trop de barbe et pas assez de manières pour une femme pareille. Je suis désolée mais je doute sincèrement qu'elle soit venue parce que tu lui plaisais... Tu es spécial, Jack, il est temps que tu t'en rendes compte. D'ailleurs...

Elle leva l'index et se leva en se dirigeant vers un placard dans le salon, visible depuis la cuisine.

– Je ne suis pas très fière de ce que j'ai fait, mais...

Elle débloqua un fond, la moitié du corps dans le placard et elle grimaça en essayant d'extirper quelque chose. Elle en sortit un petit sac qu'elle ramena à la cuisine. Plus qu'un sac, c'était une housse qu'elle posa sur la table. Elle l'ouvrit délicatement et écarta les pans pour montrer, à l'intérieur, une veste, taille d'enfant, vert kaki.

– C'est la veste de Shiban, le fils de Harry. Il l'a récupéré dans les objets que certains disparus ont laissé derrière eux.

Elle releva les yeux sur Jack et lui désigna du menton. Elle semblait attendre quelque chose.

Il voulait bien entendre qu’elle ne comprenait rien à ce qu’il disait, vu que de toute façon il n’était pas certain de se comprendre lui-même. Il ne voulait même pas imaginer la merde que ça devait être pour le frère de Penny si, effectivement, son autisme le rendait plus sensible à un tas de choses. Ce qu’il ne comprenait pas, en revanche, c’est sa réaction sur Shannon. Il n’était pas question de la journaliste mais de lui dans ce raisonnement-là. Penny devait quand même bien se rendre compte qu’il ne parlait à personne, qu’elle était la seule à qui il avait ce qu’il voyait, à un moment donné. Comment est-ce qu’elle pouvait seulement imaginer qu’il allait dire quelque chose à Shannon ? Étonné par cette réaction, il avait simplement levé les mains avant de les laisser retomber.

« Je ne sais pas, peut-être parce que je veux éviter l’article qui dit : Aujourd’hui nous savons qu’un témoin voit des choses. On n’est pas cinquante en liste et, je n’ai pas envie de répondre aux questions de tout le monde. »

Comme il n’avait pas envie de revivre une période avec des journalistes, des interrogatoires à la police et ainsi de suite. Alors, oui, peut-être que Shannon ne ferait aucun article mais on ne pouvait pas demander à Jack d’avoir cette certitude à 100%, c’était suffisant pour lui de la rayer de sa liste des confidentes.  Même le fait qu’elle lui balance le fait qu’il n’était pas le genre de Shannon lui passa bien au-dessus de la tête, c’était franchement le cadet de ses soucis pour l’instant. En d’autres circonstances son égo en aurait peut-être pris un coup mais, pas là. Il ne voulait pas être spécial, ce n’était pas faute de dire qu’il aimait sa tranquillité !

Il ne savait même pas pourquoi il s’était relevé quand elle avait fait de même, sûrement pour voir de quoi elle voulait parler. De quoi n’était-elle pas fière ? Dans quoi elle s’était fourrée ? Se tournant dans la direction de Penny pour la voir revenir avec une house. Et quand elle la posa, l’ouvrit en lui expliquant ce que c’était, Jack porta les mains à son visage dans un soupir. Il garda une main près de sa bouche, l’autre derrière sa nuque en réfléchissant à ce qu’elle avait fait.

« T’es pas sérieuse Penny ? Tu n’as pas fait ça ? » Il venait de rire très légèrement, ce genre de rire nerveux et halluciné en même temps. « C’est limite si Foster, m’accuse d’être complice de quelque chose ou d’obstruction à la justice parce que je ne suis pas capable de lui donner des indices sur ce qui s’est passé et toi… Toi, tu prends carrément des objets. Qu’est-ce qui t’es passé par la tête Penny ? »

Le ton était un tout petit peu monté mais c’est parce qu’il s’inquiétait pour elle. Son entrevu avec Foster datait de pas si longtemps que ça, le type reprenait l’enquête et, s’il savait que quelqu’un gardait ce genre de chose chez lui, Jack ne voulait même pas penser au chef d’accusation qu’il pouvait mettre sur le dos de Penny.

« C’est une preuve Penny. Une preuve qui peut… »

Ce n’est pas qu’il n’avait pas voulu finir sa phrase, c’est juste qu’en parlant de la veste il l’avait désigné et touché. Il n’avait pas voulu le faire, son geste avait été irréfléchi. Il avait à peine posé le doigt dessus que Penny s’effaça de son champ de vision. Jack était ébloui par un soleil qui n’aurait jamais dû être là. Pire, il n’avait aucun contrôle de ce qu’il voyait, impossible pour lui de tourner la tête dans une direction ou dans une autre pour voir où il était à ce moment-là. Enfin, il était toujours devant Penny mais son esprit était bien loin de là. Il veut dégager des mèches de cheveux qui ne lui appartiennent pas mais ses doigts, qui ne sont pas les siens, restent bloqués sur une fleur. Et puis Andréa apparait, une nouvelle couleur de cheveux. Enfin il n’en sait rien, il ne comprend plus rien. Il entend une voix et il comprend que, finalement, il n’est pas lui. Le nom de la ville prononcé avait de quoi le faire flipper et puis… retour sur terre, chez Penny.

Il venait de s’asseoir à nouveau sous le coup de ce qui venait de se passer, prenant soin de poser les deux coudes sur la table, loin de la veste pour enfouir la tête entre ses deux mains. Foutu bordel là-haut, tout tournait, aucune réponse ne lui venait. Cette main avec le vernis, puis maintenant le fait de voir à travers les yeux d’un gamin. Finalement, il croisa ses bras et laissa sa tête tomber entre ses bras. Une seule phrase fut prononcée. Mais s’il pensait la dire pour lui-même, la personne à côté pouvait l’entendre étant donné qu’il l’avait dite à voix haute sans s’en rendre compte. Il voulait juste se la répéter que ça puisse avoir un minimum de sens pour lui.

« Je cherche ma mère, ici, en Avalon. Je voudrais rentrer avec elle à Glastonbury. Qu'on forme une famille. »

Ce qui était passé par la tête de Penny, aucune idée. Elle avait juste... Pris la veste. Elle n'eut même pas le temps de lui expliquer pourquoi, Jack venait de se figer. La boucher ouverte pour parler, Penny l'observa un moment en attendant mais rien ne se produisit. Ses yeux étaient comme dans le vague.

– Jack ?

Mais il ne répondit pas. Elle agita d'abord une main devant lui, sans réaction. Alors elle contourna la table, doucement pour venir à sa hauteur mais il dit rien. Puis, quand il prononça la phrase, Penny déglutit. Cette situation était plus qu'étrange. Est-ce que c'était ça que voulait dire Jack par "voir des choses" ? Pinçant les lèvres, elle baissa les yeux sur sa main qui touchait la veste. Lentement, elle la posa sur son bras et la fit descendre jusqu'à son poignet. Elle était effrayée et son teint était pâle. Elle pensait que toutes ces histoires étaient terminées, ces visions, ces choses étranges qui survenaient. Elle avait enfin une vie presque rêvée à laquelle elle tenait ! Ces visions, aussi égoïste qu'elle pouvait semblait, elle n'en voulait pas dans sa maison. Mais doucement, elle prit la main de Jack dans la sienne pour l'écarter de la veste de Shiban, en espérant qu'il reviendrait vite à lui.

– Réponds-moi.

Quelle amie serait-elle si elle n'était pas là pour lui ? Elle savait que cette veste avait quelque chose et elle ne voulait en entendre parler mais avait-elle le choix ? Elle l'avait confrontée à Jack, volontairement, non ? Elle voulait voir si un témoin des disparitions verrait la même chose qu'elle. Harry avait dit qu'ils étaient différents une fois et elle avait gardé cette information dans sa tête depuis que Jack lui avait parlé de ce qu'il avait vu. Est-ce que lui infliger un tel traitement, c'était être une mauvaise amie ? Elle aussi, voulait faire avancer les choses. Quand bien même elle était heureuse avec Hayden, Harry ne cessait sa chute en enfer. Elle devait faire quelque chose.

Une main dans le dos de Jack, elle garda l'autre dans la sienne en relevant les yeux sur lui, inquiète et les lèvres pincées.

– Jack, tu m'entends ?

Vous voyez, le problème quand on fait confiance à quelqu’un, que cette personne est votre amie depuis tellement longtemps que vous avez l’impression que ça fait une éternité, c’est qu’à aucun moment vous vous dites qu’elle a fait quelque chose exprès. Elle n’en serait pas capable si elle connait votre envie à taire ce qui vous arrive, si elle sait à quel point vous tenez à votre tranquillité. Eh ben voilà, c’est exactement pour cette raison que Jack ne se posa aucune question sur l’implication de Penny dans ce qui venait de se passer, parce qu’il avait une confiance aveugle en cette fille. Dans la tête de l’Irlandais, elle n’avait aucune idée de ce que ça aurait pu donner, même pas une toute petite. Il avait appris, plus jeune, que la confiance n’était qu’un foutu concept visant à faire souffrir les autres parce qu’on leur accordait trop d’importance. Il s’était plutôt bien tenu à cette philosophie, Penny faisait partie des ratées mais, il l’assumait pleinement parce que c’était elle, parce qu’elle ne pouvait pas faire quelque chose contre lui. La confiance ce n’était qu’une pure connerie, le tout était de faire en sorte qu’il ne puisse pas s’en rendre compte.

« Ouais » Il redressa la tête, récupéra sa main pour se frotter les yeux en soupirant, le temps de revenir complètement dans ce monde qu’il connaissait. Le temps pour lui de prendre un peu plus d’assurance. « Oui, ça va. »

Ça allait, en tout cas sur un plan physique, tout semblait être parfaitement en ordre. Il se releva, s’éloigna de Penny de la veste, leva une main pour lui demander de lui laisser deux secondes. Il tourna en rond, un instant, perdu dans ses pensées pour essayer de rassembler tout ce qui venait de se passer. Puis, tout d’un coup, il s’arrêta, posa son regard sur Penny les lèvres pincées. Deux secondes… Pendant deux secondes il se demanda ce qu’il devait dire ou pas et, finalement, c’était une évidence… Il s’agissait de Penny après tout.

« Je crois que… » Il plissa les yeux leva une main, en se demandant s’il était vraiment certain de ce qu’il avait vu. « Je crois que son fils est en vie. Ou alors… » Et là il leva les deux mains parce qu’il ne savait plus quoi penser. « Dis-moi quelles sont les chances pour que je puisse voir à travers les yeux d’un gamin au moment même où je touche ce truc-là ? »

Ses deux mains avaient servi à désigner la veste qui était encore sur la table. Le truc ça que ça lui semblait complètement dingue et le fait de le dire à voix haute était encore pire que tout. En fait, ça devait être ça, c’est lui qui commençait à devenir dingue, deux mauvaises cellules qui se frôlent dans son cerveau, un mauvais contact et là il était en train de disjoncter.

« Ou alors, troisième option, on appelle le psy le plus proche et on me fait interné parce que, là, tu vois, je commence à en avoir marre de toutes ses conneries. Voir le Tor de manière différente c’est une chose, voir ce qui va se passer avant que ça n’arrive, s’en est une autre mais voir à la place d’un gamin. »

Il s’était éloigné un peu de Penny avant parce que là, il n’avait aucune envie qu’on le touche. Il avait juste l’impression de devenir cinglé et c’était horrible parce que son foutu cerveau avait quelque chose de logique en se disant que tout ça n’était pas possible. Et si ce n’était pas logique alors, ce n’était pas possible

Penny secoua la tête, aussi perturbée que lui mais pour différentes raisons. Est-ce que ça voulait dire qu'il voyait bien plus de choses qu'il ne l'avait laissé entendre et surtout, que voyait-il ? Le futur ?! Et surtout, de quoi parlait-il ?! Du fils de Harry ? Jack était doucement en train de la perdre et Penny ne savait plus par quoi commencer ni à quoi répondre en premier. Elle balbutia mais déjà Jack repartait dans une sorte de... Délire ? Elle n'aurait su quoi dire. Finalement, elle ouvrit la bouche, comme si elle venait de voir un fantôme, et elle montra la veste à Jack d'un index en haussant les sourcils.

– Jack, quand j'enfile la veste de Shiban, je vois à travers les murs. Pourquoi tu ne vois pas la même chose que moi ? Harry dit que les témoins des disparitions sont différents. Qu'ils voient des choses différentes comme... des fragments du futur, sous différentes formes. Des rêves, des flash, des dessins... Shiban s'est enfui quand Harry lui a dit pour sa mère. Combien y a-t-il de chance que tu voies au travers des yeux de ce petit garçon-là ?

Penny regarda la veste puis Jack, puis la veste à nouveau. Elle la prit alors d'un coup et la tendit vers lui.

– Touche-la à nouveau ! On sera fixés ! Si tu peux voir des choses au travers des yeux de Shiban, alors qu'est-ce qu'on attend ? Tu as prononcé le nom d'Avalon. Et si c'était vrai ? Et si... Ce n'était pas qu'une légende ? Tu dois en apprendre plus, Jack !

A nouveau, elle lui tendit la veste en haussant les sourcils. Est-ce que ça ne faisait pas trop pour Jack ? Elle ne se posa pas tellement la question. Probablement que Harry avait une influence sur elle. Pourtant, ils n'en avaient pas parlé mais et si Jack pouvait apporter des réponses à ces questions, ils ne perdaient rien à essayer, n'est-ce pas ? Elle fit à nouveau un pas vers lui.

– Tu n'es pas fou, Jack, tu es différent !

Jack posa son regard sur la veste quand Penny lui désigna. Voir à travers les murs ?! Il plissa les yeux et commençait sérieusement à espérer qu’il était dans un rêve. Un mauvais rêve. Il allait se réveiller, se souvenir, en rire et se dire qu’il pouvait avoir une imagination bien trop fertile dans des moments comme ça. Il haussa les épaules, parce qu’il ne savait pas pourquoi il voyait des choses différentes, comment aurait-il pu le savoir ?

« Aucune. »

Aucune chance pour qu’il puisse voir à travers les yeux d’un gamin parce que ce n’était PAS logique. Il n’avait pas d’autres réponses à lui apporter parce que ça lui semblait déjà assez incroyable pour être possible. Mais très vite, il fit un pas en arrière, une main légèrement en avant dans un sourire un peu nerveux au final. Jack se mit à secouer la tête.

« Penny hors de question que je touche à nouveau à ce truc-là. Tu vois, là, le truc, c’est que je m’en fou de savoir si c’est vrai parce que ce n’est pas possible ! »

Il avait parfaitement détaché tous les mots de la fin de sa phrase, les ponctuant par un léger geste de la main. Il ne comprenait même pas qu’elle lui demande de recommencer c’était déjà assez perturbant comme ça, sans avoir à lui demander de retenter l’expérience. Est-ce que ça pouvait rentrer dans la catégorie des tortures ? Parce que, c’est un peu ce que c’était pour lui. Son cerveau, d’ordinaire basé sur une logique n’arrivait pas encore à assimiler ce qui était en train de se passer. Ça lui passerait, il avait besoin d’y réfléchir et de comprendre pourquoi il fallait le refaire mais, pour l’instant, tout ce qu’il voulait s’était réfuter ce qui venait d’arriver.

« Écoute Penny, je ne sais pas ce que tu cherches à savoir mais il hors de question que je m’approche de ce truc » Il avait désigné, avec un certain dégout, la veste. « J’étais venu pour essayer d’y voir plus clair, je me retrouve avec encore plus de questions qui n’ont rien de rationnelles alors, là, tu vois, c’est juste pas possible. »

Il ne voulait pas être différent, pas dans ce sens-là en tout cas. Il voulait juste qu’on lui foute la paix, qu’on comprenne qu’il en devenait dingue. Il voulait des réponses et il finirait par comprendre que pour les avoir il allait devoir faire des efforts à son tour mais, pas ce soir, c’était trop tôt.