Sûrement sans le vouloir, Andrea avait mis Shannon sur une nouvelle piste. Et avant que celle-ci ne puisse revenir vers sa rivale, elle voulait en savoir un peu plus. Harry avait récupéré sa plaque et la pression du Premier Ministre en ville s'était calmée. Il fallait dire qu'avec les événements d'Halloween, les habitants avaient traversé un hiver très rude. Shannon n'avait pas non plus été épargnée, d'ailleurs. Mais à l'approche du festival de Pilton, les sourires revenaient sur les visages et les gens devenaient moins frileux malgré le premier anniversaire des disparitions. Les médias recommençaient toutefois à en parler et ça, Shannon n'aimait pas beaucoup, ce n'était pas de la très bonne publicité pour la ville. Mais c'était à croire que tout le monde s'en fichait pas mal, maintenant, de la publicité de la ville ! Honneur aux touristes, ben voyons. Shannon ronchonnait au comptoir pendant que Shahid essuyait ses verres. Elle n'était pas très copine avec l'Indien, ni avec l'Américaine. Ni même avec l'Irlandaise, même si celle-ci était bien plus cordiale que les autres. Shannon n'avait pas beaucoup d'amis dans cet entourage mais ce n'était pas du tout ce qu'elle cherchait, de toute façon.

Non, aujourd'hui... Elle était en chasse. Elle jeta un oeil par dessus son épaule pour le voir en train de s'affairer avec les tables et les clients. C'était une soirée assez calme, comparée à celles que le pub avait pu connaître ces derniers mois. Il faisait pas trop moche et la pluie avait cessé depuis une semaine. La température n'était pas encore idéale mais les habitants avaient pris le Tor d'assaut pour une balade et les autres étaient partis pour le weekend du côté de Stonehenge. C'était un soir "entre nous". Très peu de touristes, pour une fois et pas de match de foot à la télé. Enfin un peu d'intimité et Shannon en avait profité pour se rapprocher de sa nouvelle cible. Jusque là, la police avait fait du bon travail pour protéger leurs poulains. Mais pour le premier anniversaire des disparitions... Elle avait décidé de faire le scoop de la ville, n'en déplaise à ceux qui seraient concernés.

Parfois, lorsque Jack regardait dans sa direction, elle lui offrait un magnifique sourire. Shannon était belle, élégante et des plus enthousiastes ! Mais une bigre de bonne actrice. Elle n'était pas connue que pour ses articles mais aussi pour ses apparitions à la télé locale dans la rubrique people...

Il détestait les journalistes. Il ne les aimait déjà pas avant mais depuis l’année dernière, il les avait en horreur. Des rapaces, selon lui. Ou des chiens d’attaque, ces petits trucs sur pattes qui, quand ils ont désigné une cible, ne les lâchent plus. Et parole d’Irlandais, rien n’aurait pu le faire changer d’avis ! Une parole qui avait tellement de poids que la première fois qu’il l’avait vu dans ce bar, elle et ses cheveux blonds, il en avait oublié tout ce qu’il pensait. D’après lui, c’était inhumain d’être aussi belle et de faire un métier aussi pourri pour la vie des autres. Parce qu’ils étaient bien gentils les journalistes mais, franchement, ils devraient être considérés comme une nouvelle plaie dans ce monde bien étrange.

Trouver une femme attirante, en fait, ne le faisait pas forcément mentir sur ce qu’il pensait des journalistes. L’un n’avait jamais empêché l’autre. Alors oui, comme à chaque fois qu’elle venait, il ne pouvait s’empêcher de lui jeter des regards de temps en temps. Ça restait un homme… Hétéro de surcroît alors, qui allait le blâmer pour quelques regards à la dérobée ? De toute façon, si on lui demandait, il dirait qu’il regarde juste pour s’assurer qu’elle ne manque de rien. Normal qu’il aime son boulot, ça pouvait tout justifier… Ou presque. Et en bon professionnel, il ne passait pas non plus son temps à la regarder, il y avait d’autres personnes à s’occuper même si la soirée était plutôt calme.

Il venait de finir de s’occuper d’une table, s’assura que c’était bon pour une autre et… Bin plus rien. Passant derrière le bar il parla avec un client, tout sourire qu’il était, avant de servir une bière commandée. Les bières. Ça c’était l’avenir de la planète… Surtout en dehors des heures de boulot. Puis, il se décida à quitter sa place pour aller dans la direction de Shannon, avec ce sourire aux lèvres qui n’appartenait qu’à lui.

« Besoin de quelque chose ? »

Tout le monde s’accordait à dire que cette approche était quand même bien plus professionnelle qu’un : « Tu crois que je t’ai pas vu avec ton sourire plein de dents charmantes ». Après tout, il était irlandais, il devait y avoir un minimum de classe. Son regard n’avait même pas dévié du visage de Shannon, si ça ce n’est pas du contrôle, les amis !

Sérieusement, s’il y a des personnes pour dire que la télé embellissait les gens – et si, en plus, ils le juraient comme lui avait juré détester les journalistes – il défiait toute ces personnes de venir la voir, elle, en vraie pour comprendre qu’ils faisaient fausse route. Ça avait déjà été signifié que ce n’était pas humain d’être aussi belle ?

Spoiler:

Si Shannon était si réputée, ce n'était pas seulement parce qu'elle était engageante et engagée en plus d'être belle. C'était aussi parce qu'elle avait le coeur sur la main à ceux qui acceptaient de bien vouloir le voir. Shannon était intelligente et aussi charmante que persévérante. Disons qu'elle savait au moins ce qu'elle voulait dans la vie et c'était une grande qualité qu'elle entendait garder. Et ça y est, il venait enfin à elle ! D'expérience, elle savait qu'elle ne devait pas entrer les deux pieds dans le plat. Non, Shannon était une professionnelle !

Quand il s'approcha, elle fit mine de ne pas l'avoir vu approcher et eut un sursaut - avec un immense sourire charmant - et d'un mouvement de tête, elle écarta ses boucles blondes de devant ses yeux. Requin ou non, elle avait cette facilité à sourire le plus sincèrement du monde - même quand elle l'était pas. A sa question, répondre "Oui, de toi", aurait été passablement mal joué et trop prématuré. Cette option, elle l'a garda dans son sourire. Une main sur le bar, elle se tourna légèrement vers lui et secoua la tête, doucement.

– Puisque vous le demandez, je prendrais bien un de ces scotch bien frappé dont votre établissement a le secret. Sec.

En plus d'être élégante et raffinée, Shannon avait du goût en matière de luxe. Elle-même noyée dans le luxe depuis son enfance, il fallait l'imaginer dans une garde robe tout aussi indécente. Le genre à porter des pantalons porte-feuille taille haute avec un chemisier de soie entré dans la ceinture, affinant ainsi sa taille et glorifiant les formes de son buste. Le tout coiffée comme ces belles des années 50 avec un maquillage assorti. Shannon ne laissait rien au hasard. Surtout quand il s'agissait de faire de l'oeil à une cible qu'elle avait verrouillée. Une veuve blonde, voilà ce qu'elle était. Et si Jack n'était pas un moche garçon, il n'était pas du tout son style ! Trop mal rasé, un peu trop rustre peut-être et puis... C'était un barman ! Mais tout ce qu'elle voulait de lui, c'était des réponses à certaines questions et pour ça, elle devait se montrer très intéressée par cette petite personne au demeurant fort charmante.

Spoiler:

Puisqu’il le demandait… Elle était mignonne. C’était son boulot, dans d’autre circonstances, on pouvait être assuré qu’il n’aurait pas abordé les choses de la même manière. D’un sourire, dans un hochement de tête ravi face à cette demande il se détourna dans un « tout de suite ! » avant d’aller chercher la bouteille adéquate, le verre qu’il fallait et faire exactement ce qui était demandé. En préparant la boisson il aurait pu se demander pourquoi elle était là, elle et son sourire, mais, en réalité, elle passait de temps en temps, il n’y avait rien de suspect là-dedans. Et puis, comment se méfier de ce petit minois ? Ah oui, elle était journaliste ! Ça aurait dû être une raisonne mille fois suffisante mais, comme il était capable d’oublier qui il était quand elle souriait, le métier qu’elle pouvait faire était bien le cadet de ses soucis. C’était bien là tout le danger de cette femme. Jack revint vers elle, le verre à la main.

« Et un scotch ! »

Il était à deux doigts de poser le verre sur le comptoir quand sa main se mit à trembler et que sa vision commençait à se troubler. Le moment qu’il détestait, qu’il commençait à connaitre sans jamais pouvoir si habituer. Précipitamment, il posa le verre sur le comptoir qui, par miracle, arriva à bon port mais non sans être secoué un peu… Bin, elle voulait un scotch frappé, elle était servie. De son côté Jack avait déjà posé ses mains sur le bord du comptoir, absent, s’y accrochant comme une bouée de secours alors que son regard semblait être parti loin. Très loin.

Il était incapable de dire ce qui lui arrivait, ni même pourquoi. Pourtant, ça s’était calmé ses derniers temps mais, comme la vie faisait très bien les choses – ou pas – il avait fallu que ça lui tombe dessus devant elle. Il n’y comprenait rien et, dans le fond, ça l’énervait tellement qu’il n’était pas certain de vouloir comprendre. Peut-être qu’il avait l’impression d’avoir un sérieux problème et qu’il préférait le garder pour lui. Ca ne dura pas longtemps et son regard arriva à nouveau à distinguer ce qui se passait ici. Il secoua la tête, une fois, d’un mouvement sec pour revenir dans ce pub, dans ce monde qu’il connaissait.

Affronter le regard de la journaliste maintenant était une mauvaise idée, il le savait alors, son regard se posa sur le verre qu’il avait réussi à mettre sur le comptoir. Un exploit. Mais très vite, il comprit qu’il l’avait un peu trop secoué et que de l’alcool avait réussi à s’échapper du verre. Il essaya de se rassurer en se disant que, pour cette fois, il n’avait rien cassé ce qui était déjà une victoire en soi. Sa main alla attraper le verre, pendant qu’il se tournait un peu sur lui-même pour attraper quelque chose lui permettant d’essuyer le peu de dégâts qu’il avait fait. C’est en soulevant le verre et en essuyant l’alcool fuyard qu’il s’excusa.

« Désolé, je vais te le refaire. »

Alors qu'il partait s'occuper d'elle, Shannon lui offrit à nouveau un de ses sourires magiques. Elle le suivit des yeux, l'observant faire. Cet homme là avait quelque chose, comme tous les témoins des disparitions. Ils n'étaient ni de la famille, ni des enquêteurs, ni des journalistes, ni des touristes, ils étaient au milieu. Comme sa nièce. Ils erraient, d'une certaine manière, entre un autre monde - celui qu'ils avaient vu disparaître - et celui-ci, où ils vivaient au jour le jour. George lui avait confessé ne plus trouver sa place, qu'elle voulait que ça redevienne comme avant. En était-il de même pour Jack ? La révélation de sa nièce, Shannon l'avait gardée pour elle. Son beau frère n'avait pas besoin de le savoir et la journaliste mettait un point d'honneur à protéger ce qui aurait pu être la prunelle de ses yeux en l'absence de sa soeur, souvent en déplacement. La protéger de la ville mais surtout de la police. On disait des médias, des journalistes mais ppff, tout ça ce n'était rien comparé à la police. Ils voulaient toujours avoir raison, et patati et patata.

Jack revint alors et Shannon sourit à nouveau en levant la main pour prendre le verre et le remercier mais elle se figea en même temps que lui. Et bien ? Finalement, non, elle n'avait pas droit à son verre ? Elle se rendit compte de son tremblement et perdit soudain son sourire. C'était comme si le temps s'était arrêté et qu'ils avaient tous les deux les yeux rivés sur ce verre en attendant de voir la suite des événements. Quand il posa d'un coup le verre sur le comptoir, Shannon sursauta. Voilà qui n'était pas commun et à la fois familier. Shannon releva des yeux inquiets sur le serveur mais son regard était comme vide, comme ailleurs.

– Jack ?

Finie la petite comédie de la journaliste au joli sourire, il commençait à lui faire peur. Les témoins lui faisaient peur, en général, à bien y réfléchir. Ils avaient vu des choses vraiment étranges. Jack n'échappait sûrement pas à la règle. Restait à savoir... Que voyait-il maintenant ? Quand il agrippa le comptoir, Shannon sauta de son tabouret comme pour le retenir de tomber, se rapprochant de lui. Faire un malaise, c'était chose commune. La chaleur - bien que ce ne soit pas le cas ici - une forte migraine ou un crise d'hypoglycémie, mille et une raisons de manquer de chavirer. Mais encore une fois, Jack était un témoin, par conséquent, si sa théorie se vérifiait, George et lui étaient... particuliers. C'était bien ce qu'elle voulait voir ce soir. Pour l'instant, il confirmait surtout d'avoir un soucis, restait à identifier lequel.

Quand il revint à lui, elle chercha son regard mais il l'ignora. Il pouvait parfaitement comprendre mais elle s'était donc attendue à ce qu'il la plante là. Au contraire, il voulait lui resservir un verre. Dans un léger rire, elle joua d'humour.

– Je peux peut-être finir celui-ci avant que tu m'en payes un autre, non ? Ca va !

Elle lui reprit le verre des mains, le reposant dans sa paume, puis sur le comptoir.

– Il y en avait trop pour moi, de toute façon. Est-ce que ça va ?

Elle pencha la tête, cherchant son regard à nouveau, tentant un sourire amical. Est-ce que Jack répondrait, elle en doutait. Depuis les disparitions, les Témoins se faisaient discrets. La police, comme les médias, ne les avaient pas lâchés, certains avaient même été soupçonnés de complicité d'enlèvement, incluant de sévères accusations de kidnapping car parmi les disparus, il y avait deux enfants. Shannon pouvait parfaitement comprendre qu'ils se protègent alors... Surtout face à elle. Aussi, elle décida de jouer sur un tableau plus... discret. Elle prit son sac qu'elle posa sur le comptoir et se mit à fouiller dedans allègrement avant d'en sortir une plaque de carrés de chocolat.

– Tu devrais manger du sucre, ou un morceau de chocolat, ça aide pour les chutes de ce genre. Mon beau frère est médecin, c'est sa réplique préférée, je n'ai pas de mérite.

Et elle sourit à nouveau, cassant un morceau de chocolat pour lui tendre. Intérieurement, elle espérait que ce lien serait un atout pour la suite. Elle n'avait pas vraiment songé à s'approcher de lui de cette manière mais elle ne perdait rien à essayer. Si pour une fois, elle pouvait obtenir des informations sans avoir à passer pour la journaliste opportuniste que tout le monde décrivait...

Elle pouvait l’interpeller, le secouer ou même le frapper que cela n’aurait rien changé. Jack avait beau être physiquement là, le reste de son esprit était parti loin. Très loin, dans un monde qu’il ignorait complètement et où les images qu’il en avait étaient bien trop fugaces pour chercher à y comprendre quoi que ce soit. Et, comme il avait cette fâcheuse tendance à ne pas en parler, autant dire qu’il n’était pas plus avancé que la première fois que ça lui était arrivé. Il y avait bien eu cette main sur son bras, croyant injustement qu’il s’agissait de Shannon qui devait essayer de le faire revenir dans le bar et, avant qu’il ne puisse comprendre quoi que ce soit, il était revenu. Reprendre le verre, nettoyer, juste une échappatoire qu’elle ne lui laissait pas, en reprenant son verre. Relevant le regard vers elle, dans un sourire, cherchant à retrouver un minimum de contenance et voulant passer l’évènement sous silence, il décida de répondre sur le même ton.

« Ça veut dire que tu acceptes que je te paye quand même le deuxième ? »

Il avait beau chercher à sourire, ça ne donnait pas comme d’habitude. Il avait toujours un peu de mal à se remettre, ça prenait toujours quelques minutes pour remettre les choses en ordre dans son esprit. Quand ça lui arrivait, il finissait toujours pas se dire qu’il devait en parler à quelqu’un, juste pour savoir, pour comprendre, pour se dire qu’il était normal. Puis, ça passait et il trouvait cette idée ridicule. Qui le croirait ? Il avait plus envie de croire qu’il y avait quelque chose dans l’air, plutôt que de croire qu’il avait des flashes étranges.

Oui, il avait esquivé la question qui lui demandait comment il allait. Ça n’allait pas. Mais elle était journaliste, elle était une cliente, il était au boulot, tout un tas de raisons qui faisait qu’il ne lui dirait pas. Il avait déjà bien assez peur pour son boulot avec ces trucs qui lui arrivait, ce n’était pas pour se mettre à se plaindre auprès de cliente… Aussi charmantes soit-elles.

Le sac de Shannon fut sur la table et, avec, les ongles qu’elle avait au bout des doigts. La couleur, elle ne correspondait pas à celle de la main qu’il avait et, c’était presque flippant. Assez pour qu’il bloque sur le vernis de Shannon en se demandant si elle n’avait pas de ces vernis capables de changer de couleur… n’importe quoi, peut-être même qu’elle s’était refait les ongles pendant qu’il était dans son délire, il s’en foutait mais tout – même invraisemblable – valait mieux que le fait qu’il est des hallucinations ou qu’on est pu le toucher alors qu’il était ici. Elle avait sorti du chocolat, lui parlait mais il avait bloqué. Ce n’est qu’au moment de lui tendre un carré qu’il fit un mouvement vif et bref de la tête pour reconnecter quelques neurones. Il l’aimait, elle ne pouvait même pas savoir à quel point mais, il l’aimait de lui donner une excuse. D’une main il attrapa le carré de chocolat, de l’autre il se gratta la nuque d’un air navré et un peu gêné que la situation.

« Merci, pourtant mon médecin m’avait bien prévenu. » Et là il se mit à faire une imitation de médecin, l’index relevé sur un poing fermé, s’agitant de haut en bas pour exprimer une recommandation. « Bien manger le midi, sinon vous ne tiendrez pas toute la journée. » Il relaissa sa main tomber, soupirant et redevenant lui. « La prochaine fois, je l’écouterais. »

Il ne préférait pas trop entrer dans les détails parce que c’était un mensonge et, surtout, parce qu’il n’y connaissait foutrement rien en médecine. Alors si Shannon, de par son beau-frère s’y connaissait un peu, il serait grillé en moins de deux minutes.

Shannon avait souri à sa première question. Même sans rien répondre, elle avait voulu dire oui. Juste pour le sport. Juste parce qu'elle aimait plaire. A nouveau, Jack avait été absent en fixant son sac. Shannon avait suivi son regard, puis relevé les yeux sur lui. Rien ne lui donnait d'indice quant à ce qu'il se passait dans sa tête. Et encore une fois, il était revenu à lui, sorti de rien, comme si tout allait bien ! Mais rien n'allait, Shannon le savait bien. Elle ne pouvait simplement rien affirmer sans preuves concrètes. Ah, ces médecins. Ils préviennent toujours de tout et jamais on ne les écoute ! A dire vrai, elle ne les écoutait pas plus. Alors elle rit à son humour.

– C'est sûr, c'est toujours ce que je dis à ma nièce et je ne suis pourtant pas médecin, j'ai laissé ça à son père, il fait ça très bien.

Elle leva une main pour faire un mouvement du poignet, comme mettant de côté l'information de son beau frère. Elle avait des allures de bourgeoises, quand même. Mais quand on savait tout ce qu'elle faisait dans la vie, elle apparaissait glamour avant d'être BCBG. Présidente d'une association humanitaire et geek à ses heures perdues, des activités qui lui donnaient un côté... Plus sexy et aussi plus intelligent qu'un simple mannequin télévisé juste bonne à présenter les nouveaux couples de Hollywood et la météo.

Elle riait encore lorsque Jaimie, principale serveuse en salle, se rapprochait du bar avec un plateau de verres sales au poignet. La jeune femme d'environ une trentaine d'années tout juste ressemblait énormément à sa cousine, Colin, à croire qu'elles étaient soeurs. De fines lèvres, un visage rond, assorti à ses formes généreuses et des cheveux blonds courts. Jaimie faisait parfois penser à une garçonne. Elle avait souvent une fleur dans les cheveux, cependant, elle buvait comme un homme, dansait sur les tables, comme une danseuse de revue et question fête, elle était toujours le première. Elle avait son propre caractère mais comme ses cousines, Colin comme Penny, elle était d'un naturel extrêmement souriant et enthousiaste. Un mauvais cirage et elle trébucha à côté de Jack et de Shannon. Son seul point de rattrapage fut le bras de Jack. De sa main, elle se cramponna en poussant un léger cri mais déjà les verres s'écrasaient au sol dans un bruit de glas et toute la salle se mit à applaudir en sifflant. Si Jaimie salua, toute sourire, aussi ironique qu'amusée, elle s'excusa auprès de Jack avant de partir en arrière salle chercher de quoi nettoyer. Jaimie avait de longs doigts fins, avec une gourmette à son poignet et une Claddagh à son annulaire. Le tout avec de beaux ongles vernis rouges et brillants. Jaimie avait, un peu comme Shannon, d'ailleurs, ce côté poupée des années 50 qui en faisait sa marque de fabrique. Penny était une bohémienne des années 70 et Colin adorait arborer de vielles fringues des années 90. Des détails auxquels seul Jack avait pu faire vraiment attention à cet instant.

Dans d’autres circonstances, Jack aurait probablement demandé à Shannon si ça cousine allait bien, si elle avait besoin d’un médecin maintenant ou si elle faisait juste une généralité de plusieurs petits évènements. Mais c’était Jack et quand quelque chose le perturbait c’était lui d’abord. Les autres ne passaient qu’après parce que au final il avait toujours eu cette tendance à se débrouiller seul, à ne pas vouloir compter sur les autres, estimant que comme cela, lui n’avait pas non plus à être une épaule sur qui on pouvait se reposer. Aujourd’hui, ça jouait en sa défaveur. Shannon aurait pu lui être d’une aide précieuse à en savoir bien plus qu’elle voulait bien le dire mais, tout le monde se terrait dans leurs petits secrets alors, comment aurait-il pu le savoir ? Après tout, Jack n’était pas télépathe !

L’Irlandais n’était pas la meilleure personne que l’on pouvait avoir dans son entourage mais, au travail, il y avait des signes qu’il savait voir. Ce mouvement de poignet qu’elle avait eu, dehors il en aurait fait qu’à sa tête et aurait continué sur le sujet s’il en avait eu envie. Ici, il acceptait ce geste pour ce qu’il était et mit cette conversation de côté. Le client est roi, c’est bien connu… peut-être trop d’ailleurs. Même si Jack avait voulu répondre quelque chose, il n’en aurait pas eu le temps. La scène se passa très vite : Jaimie glissa, laissa son plateau tomber au sol et se rattrapa à Jack. De son côté, lui, n’avait eu que le temps de se bouger un peu dans sa direction pour tenter de la rattraper, ce qu’elle avait très bien fait toute seule.

Il aurait souri, dit quelque chose pour la taquiner – parce qu’il n’aurait jamais su la critiquer sur ce genre d’évènement – mais rien de tout cela n’arriva. Elle avait une main sur son bras et, à cet instant bien précis, tout ce qui pouvait être autour de cette main avait disparu. Un air de déjà vu, il n’y a pas si longtemps. Jack se décomposa en devenant livide à la vue des ongles de la serveuse. Elle s’excusa, probablement, il n’en savait rien, il n’entendait rien à cause de ce qu’il était en train de voir lui rappelant un peu trop ce qu’il avait vu quelques minutes plus tôt. Là, ça devenait vraiment trop bizarre.

Jaimie était repartie et, lui, il prit encore bien 10 secondes à s’en apercevoir. Il porta les mains à son visage, l’englobant totalement dans un « Je nage en plein délire », phrase qui lui était destinée à lui, en oubliant complètement qu’une autre personne, blonde dans le cas présent, était dans les environs proches. Du bout des doigts, il frotta ses yeux avant de laisser son visage respirer dans un soupir. Si Jack ne craignait déjà pas de perdre son boulot à cause de ce qui lui arrivait, il aurait été demandé sa soirée dans la seconde qui avait suivi. Besoin de boire, d’oublier, de ne plus réfléchir à quoi que ce soit. Au lieu de ça, il se baissa, ramassa le plateau qui était tombé et, avec le bord rond de celui-ci, il rassembla comme il le pouvait le plus gros du verre cassé avant de laisser la relève à Jaimie qui était revenue bien mieux équipée que lui.

Il avait envie de lui demander si ce vernis était « courant » si tout le monde pouvait le porter mais, il préféra s’abstenir avec des questions qui pouvaient paraître étrange, encore plus sur son lieu de travail. Jack se redressa, alla poser le plateau et se décida à revenir vers le comptoir. Il secoua la tête dans un sourire de façade tout en faisant claquer la langue sur son palais.

« Voilà ce que c’est que de vouloir trop bien nettoyer. »

Si on le connaissait dans le cadre de son boulot, il était certain que quelque chose clochait. Il y avait bien moins de conviction dans cette phrase, cette allure et le ton qu’il y mettait. Cette soirée, calme, était en train de virer au cauchemar.

Shannon le regarda faire d'un oeil. Elle l'aurait bien aidé mais... Ce n'était pas de sa condition. Oui, la journaliste avait des conditions. Elle hésita un instant à se pencher pour l'aider à ramasser mais se ravisa au dernier moment. S'il était un gentleman, il ne s'en offusquerait pas. Elle l'espérait car sinon, elle devrait trouver un autre moyen de le séduire. Car pour Shannon, toute information passait par de la séduction là où, pour d'autres sans vouloir nommer Leela, ça passait par l'intimidation et le blackmail. Légèrement désoeuvrée, elle le laissait se remettre au travail et s'éloigner dangereusement d'elle. Si elle avait réussi à faire un ou deux pas intéressants vers lui, Jaimie l'avait bousculée d'au moins trois en arrière !

Shannon avait fait des études de sociologie dont certains cours s'étaient portés sur les attitudes et les codes gestuels, les comportements d'autrui et comment les décoder. Elle fixa Jack un long moment en le voyant contourner le comptoir. S'il ne s'éloignait pas tant que ça, il y avait quelque chose de changé. Et si Jack n'avait pas fait de malaise d'hypoglycémie, sur quoi alors ? S'il était un patient de l'hôpital, son beau frère aurait sûrement un dossier. Mais Shannon savait que en tant que témoin, il avait forcément suivi des examens de contrôle, comme les autres, ainsi que le reste des habitants. Juste après les disparitions, bon nombre de personnes avaient dit avoir "vu" des choses. En plus de l'épidémie curieuse qui en découlait, Shannon était pratiquement convaincue que Jack faisait partie de ces êtres... exceptionnels. Ceux qu'elle n'arrivait jamais à approcher depuis qu'elle avait écrit un article sur Andrea Wilkes qui la qualifiait de... De quoi d'abord ? Bref, ce n'était pas flatteur. Elle lui offrit un adorable sourire d'excuse à sa réplique et secoua la tête.

– Je suis persuadée que tu fais partie de ces gens qui aiment vraiment leur travail, je me trompe ?

Elle devait réfléchir vite à présent. Comment approcher Jack pour se retrouver seule avec lui et en savoir plus ? Elle devrait probablement attendre que le bar se vide un peu plus. Mais il ne serait jamais seul. Elle porta son verre à ses lèvres sans le quitter des yeux, ses pommettes se soulevant sous son sourire. Si Jack pensait sa soirée fichue, elle mettait un point d'honneur à l'adoucir autant que possible. Il n'en avait pas fait la requête franchement mais Shannon n'était pas forcément dans l'expectative.

– Alors ? Tu voudrais me l'offrir ce verre ? Maintenant, ce soir, demain... Je suis libre.

« Pas vraiment, non. »

Oui il aimait son boulot et, oui, il ferait en sorte de le garder et ça passait par le fait de ne pas passer pour une sorte de rat de laboratoire. Il aurait pu parler de ce qu’il « voyait » à des gens à l’hôpital, il n’aurait pas été le seul à le faire mais, il n’avait pas envie d’avoir des questions, des tests, ou il ne savait quoi d’autre. Peut-être qu’il se faisait des films mais, justement, pour en avoir vu pas mal il savait que parler de ce genre de choses était une mauvaise idée. Et si on venait lui dire qu’il était important de parler de ce qu’il avait, ne serait-ce que pour comprendre et aider un tas de personne, il aurait bien rigolé. Si quelqu’un devait passer avant les autres, s’était bien lui et son semblant de tranquillité, il y tenait.

Et puis il y avait cette histoire de verre. Jack aurait forcément préféré un autre moment, n’importe lequel mais pas ce soir, pas après ce qui venait de se passer. D’un autre côté, s’il voulait faire comme si rien ne s’était produit, fallait qu’il reste sur ce qu’il aurait pu répondre d’habitude. Cela dit, il y avait quelque chose d’étonnant dans sa proposition, elle venait quand même de manière régulière alors… Pourquoi aujourd’hui ? Une question qu’il préférait laisser dans un coin de son cerveau, avec un sourire comme elle pouvait avoir, on acceptait et puis c’est tout. Il baissa le regard sur sa montre.

« Je finis dans 30 minutes, si tu veux. »

Sur quoi il retourna travailler. Tout sourire qu’elle était, Shannon n’était pas la seule cliente encore présente et il ne pouvait pas se permettre de rester avec elle pendant son service. Retournant à des tables, il prit une nouvelle commande qui fut servie dans les minutes suivantes, une autre table fut nettoyée après qu’il est salué une couple de personnes quittant l’établissement. D’autres petites choses à droite et à gauche sans le moindre incident à déplorer, ce qui n’était pas fait pour lui déplaire. Jack aurait voulu ne plus penser à ce qui avait pu se passer mais, son esprit, lui, avait décidé de lui repasser cette main vernie en boucle. Encore et encore. De quoi le rendre dingue. Finalement, aller boire un verre ailleurs, ne lui ferait pas de mal en plus d’avoir l’avantage de lui changer les idées. Si c’était possible…

Et à vouloir s’occuper comme un malade pour ne plus avoir à réfléchir, la demi-heure restante passa assez vite pour sa part. Avant d’aller récupérer ses affaires, il s’assura quand même d’avoir fait tout ce qu’il avait à faire, même si son service arrivait à son terme, il n’aimait pas laisser des choses en plan. Mais la soirée avait été calme et plus rien ne semblait le retenir. Il disparut de la salle pour aller prendre ses affaires, surtout sa veste, avant de saluer les personnes avec qui il travaillait. Et, forcément, avant de partir, il s’arrêta à la hauteur de Shannon, alors qu’un de ses sourires, bien à lui, était posé sur ses lèvres.

« Toujours partante ? »

Si c'était impossible à voir à l'oeil nu, dans sa tête, Shannon venait de hurler à pleins poumons de joie. Bien sûr, se faire offrir des verres, elle avait l'habitude, surtout lors de ses déplacements à Londres. Ici, elle était... parfois un peu too much pour les ploucs du coin mais à Londres, tout son art s'exprimer à sa juste valeur. Et si Penny n'était pas sensible au charme de la journaliste, elle avait suivi pourtant l'échange d'un oeil attentif. Elle serait bien intervenue pour prévenir Jack de faire attention mais... Quelque chose l'en empêcha. Penny avait regardé autour d'elle en énumérant les événements depuis un an. Si la méthode officielle n'avait pas fonctionné jusque là alors... Elle laissait Shannon tenter sa propre manière. Sinon pour ça, pourquoi souriait-elle ainsi à Jack ? Autrement dit : il n'était pas son genre, c'était ce Shannon aimait appeler plus communément "un plouc". Mais Shannon répondit à sa proposition de fin de shift par un magnifique sourire et le laissa repartir à son travail, non sans le suivre des yeux.

Et même des fois, elle l'observait d'une autre façon. Jusqu'à ce que son regard croise celui de Penny. Elle perdit son sourire lentement et eut une conversation silencieuse avec la jeune femme. Il était clair que les deux n'entretenaient pas une relation pleine d'amour et d'amitié, pourtant elles ne se sautaient pas à la gorge. Penny jeta un oeil sur Jack alors qu'il servait une table puis elle reporta son attention sur la journaliste. La façon que la cadette eut de se détourner en hochant la tête, Shannon ne su pas vraiment comment le prendre. Etait-ce une mise en garde ? Penny jouait-elle les toutous bien dressés ? Est-ce qu'elle protégeait son bien ? Selon son expérience, si Penny avait quelque chose à lui dire qui nécessite une prise de pouvoir sur son territoire, elle viendrait lui dire en face. Au lieu de ça, elle s'était... Effacée.

Shannon réfléchissait à tout ça quand Jack vint enfin la rejoindre et, lui souriant à son tour, elle fit passer son sac sur son épaule en se levant. Elle songea un instant qu'il aurait au moins pu lui donner son bras mais non ! Cependant, elle ne pouvait pas faire la difficile.

_ Toujours, bien sûr !

Elle jeta encore un oeil à Penny qui les suivait des yeux de derrière le comptoir. Même Shahid, le barman avait froncé les sourcils. N'importe qui connaissait Shannon, d'un peu plus près que la télé et un peu plus dans sa vie de tous les jours, savait que tout ceci n'était pas innocent. Pourtant, personne ne les retint et Shannon commença à croire que c'était comme lui donner l'accord de tenter sa propre méthode pour élucider les mystères des disparitions, ainsi que des événements survenus depuis un an.



Une fois dehors, Shannon rabattit son petit foulard autour de son cou pour se protéger de la température tardive. Glastonbury, le soir, hors période touristique, c'était plutôt calme et aller dans un café, c'était comme rester à l'Irish. Et Shannon n'avait ni envie d'aller chez lui, ni de l'inviter chez elle, trop personnel, trop intime. Aussi, dans un immense sourire, elle se tourna vers lui. Il n'était pas si moche à bien le regarder. Il faisait négligé mais... Ces derniers temps, elle commençait à revoir ses critères. 

– Tu as faim ?

Elle avait attendu, elle acceptait toujours et, quelque part il trouvait que c’était étonnant. Mais au lieu de le montrer ou de poser des questions, il préférait se dire qu’il valait mieux profiter de cette occasion de se changer les idées. Passant devant, à défaut de tendre le bras – ce qu’il trouvait ridicule quand même -, il ouvrit la porte et l’invita à passer et, ce n’est qu’une fois qu’elle fut passée qu’il alla poser son regard sur Penny. Un sourire, un clin d’œil, juste de quoi lui dire de ne pas s’inquiéter, il gérait la situation. En fait, il ne gérait pas grand-chose, la seule chose dont il était certain c’était de ne pas oublier que Shannon était journaliste et que ce n’était pas à elle qui raconterait ce qui venait de se passer.

Une fois dehors, c’est le col de sa veste qu’il releva avant de prendre une seconde pour réfléchir à ce qu’elle venait de lui demander. Non, il n’avait pas faim. Oui, il venait de faire croire qu’il avait fait un malaise. Si Jack voulait restait sur cette lignée, il allait bien falloir accepter et, un lieu public, c’était sans doute mieux comme ça. Son index désigna une direction sur sa droite.

« Il y a un petit restau un peu plus loin. » Comme si elle ne le savait pas, ce qu’il pouvait être débile des fois. « Je suppose que ça va pas pouvoir me faire de mal. »

L’avantage du restaurant en question c’est qu’il n’était pas très loin et que marché un peu, dehors, ne pouvait pas lui faire de mal. Il fit un pas, mit les mains dans ses poches et devança légèrement Shannon pour se retourner et marcher un peu à reculons, un sourire plutôt taquin sur les lèvres.

« Enfin, si ça te conviens, parce que je ne suis pas certain qu’ils fassent le service avec 7 couverts et assiette à bordure d’or. »

ce n’était pas vraiment à prendre au sérieux, quoique peut être une demande un peu voilé de ce qu’elle faisait ici et pourquoi elle proposait d’aller manger un morceau quelque part, si loin de ses plateaux télés et du monde dans lequel elle évoluait. Il avait cette tendance à croire que certaines choses ne se mélangeaient pas, à moins d’y trouver une raison. Et puis, peut-être que de se concentrer sur ce qu’elle faisait ici, lui permettait surtout de ne pas penser à cette main aux doigts vernis. Ce qu’il était toujours incapable d’analyser et de comprendre. Son cerveau avait bien une théorie, il avait vu bien assez de séries et de films comme cela mais, c’était de la fiction. Alors, si un semblant de théorie se faisait dans sa tête, c’était ce même cerveau qui refusait de l’admettre. Trop gros. Trop impossible, même pour un type qui était capable de voir des choses étranges depuis un an.

Au point où il en était-il aurait pu parler des hamburgers que servait ce restaurant, du temps qu’il faisait dehors, de n’importe quoi du moment que c’était d’une banalité absolue et que ça lui permettait de ne pas avoir à revenir sur ce qui avait pu se passer sur le bar. Il n’était même pas capable de se rendre compte qu’il allait plutôt bien pour quelqu’un qui venait de se faire, soi-disant, un léger malaise. Contourner des sujet, oublié certains détails, ça il maitrisait plutôt bien mais, le mensonge… Il mentait comme tout le monde, peut-être un peu mieux mais rien qui ne soit vraiment détectable quand on l’avait l’habitude de savoir quand les gens mentent ou non.

Shannon ne buvait que peu, finalement et les quelques cacahuètes du bar n'avaient pas suffit à lui combler l'estomac. Elle lui sourit, acceptant alors son plan et se mit à marcher à ses côtés. Tout le monde aimait à penser qu'elle avait été élevée avec une petite cuillère en argent en guise de premier couvert et ce n'était pas totalement faux ! Mais pas tout à fait vrai non plus. Raison pour laquelle, à sa taquinerie, elle éclata d'un rire clair en portant sa main à son coeur. Puis elle secoua la tête en faisant rebondir ses boucles blondes. C'était à croire que jamais son visage ne s'assombrissait. Mais bizarrement, c'était rafraîchissant cette moquerie ! Tout le monde s'en servait pour la provoquer ou lui faire des reproches. C'était reposant de voir que quelqu'un savait toutefois en faire humour. Tout le monde aimait la croire si... Mauvaise. Mais il n'en était rien de tout ça, encore fallait-il accepter de s'approcher d'elle et de chercher à creuser un peu sous le font de teint.

– Je crois que je m'en remettrai, quand même !

Elle lui avait souri - peut-être plus sincèrement d'ailleurs que d'habitude. Elle baissa la tête, sa main tenant la hanse de son sac, avec pour seul bruit dans la rue que leurs pas sur le sol. Sans se départir de son sourire, elle reprit en relevant la tête.

– Les gens adorent croire tout ça mais s'ils savaient... Je dors avec un t-shirt troué, mes chaussettes sont dépareillées et quand j'oublie de me démaquiller, ce qui m'arrive fréquemment après une dure journée, je ressemble à un panda le matin. Je ne conçois pas non plus de manger mes frites sans mes doigts et je ne sais déjeuner avec des collègues arabes sans leur offrir l'honneur de mon rot le plus bruyant à la fin du repas !

Elle sourit un peu plus et s'arrêta finalement devant la porte du restaurant pour lui faire face. Elle pencha doucement la tête pour le dévisager et acquiesça finalement.

– Mais je peux comprendre les idées reçues, les préjugés... On en a tous. Mais parfois, les choses ne sont juste pas ce qu'elles semblent être, n'est-ce pas ?

Quelque chose dans son regard, une interrogation ou bien un message subliminal, pourquoi pas un code et elle le pensait capable de le déchiffrer. Elle sourit à nouveau et baissa la tête pour ouvrir la porte du restaurant et s'engouffrer à l'intérieur. A cette heure-ci, il n'y avait plus beaucoup de monde mais Shannon s'en réjouissait. La foule, elle avait beau la solliciter, elle appréciait d'autant plus le calme d'un bon petit restaurant en tête à tête ! Un peu d'intimité, voilà qui lui convenait parfaitement. Elle indiqua qu'ils étaient deux, accepta humblement le compliment sur sa dernière émission avec un sourire top Colgate super travaillé et ils furent enfin installés. Le serveur leur indiqua néanmoins que le plat du jour n'était plis disponible, ainsi que d'autres produits mentionnés sur la carte. Mais Shannon avait tellement faim qu'elle prendrait ce qui viendrait ! Et quand ce fut fait, elle prit son verre de vin - voilà qui lui convenait beaucoup mieux - et le porta à ses lèvres en dévisageant Jack.

– L'Irish, c'est une grande famille... Tu es un cousin des Donovan ? Tu m'as l'air un peu trop visage pâle pour être de la famille de Shahid.

Curiosité journalistique ? Non, simple engagement de conversation banale !

Il avait hoché la tête l’air de dire que c’était parfait, si elle comptait s’en remettre et ne put cacher une certaine surprise à l’évocation de tout ce qu’elle pouvait faire. Le problème avec les gens que l’on voit à la télé c’est qu’ils avaient, généralement, une image parfaite, tout était presque calculé, mesuré pour ne pas avoir de faux pas. Et, quand il y en avait, le plus souvent s’était prévu. Alors, il était difficile d’imaginer une vie bien réelle, comme celle de tout le monde, à des gens qui paraissaient si parfaits derrière un écran. Plus que le rot, ou autre chose, c’est aux chaussettes dépareillées qu’il laissa échapper un léger rire en baissant la tête amusé et, se tournant à nouveau pour se mettre à marcher dans le bon sens. Pourquoi plus rire aux chaussettes plutôt qu’au reste ? Parce que c’était tellement humain. D’après lui, c’était vraiment la chose que toute personne, normalement constituée, avait faite au moins une fois dans sa vie.

« Ok… Finalement, t’es vraiment humaine. »

Une phrase dite sur la fin de son léger rire, en levant les mains comme si jack s’excusait – en rigolant – de l’avoir prise pour une aliène sortie tout droit d’un poste de télévision. Il avait toujours ce sourire amusé quand ils arrivèrent devant le restaurant mais, à sa question, son sourire se fit un peu plus sérieux. Il se pinça les lèvres, eut un léger mouvement de tête avant de hausser les épaules.

« Tout le monde a quelque chose à cacher alors, finalement, les préjugés ou les apparences arrangent bien. »

Elle le prenait pour elle ou pour lui, peu importait en fait. D’une certaine manière les deux étaient concernés, tout le monde l’était parce que, chaque personne avait la capacité de se cacher derrière une apparence ou un mensonge pour cacher des choses ou juste pour se protéger. Ça devait être donné dans les gènes à la naissance. Elle ouvrit la porte, il mit sa main dessus pour la retenir et entrer à la suite de la journaliste. Peu de temps après, ils étaient installés. En bon irlandais, c’est une bière qu’il commanda, avec un plat, le premier sur la liste à ne pas être en rupture de stock. Il n’avait pas très faim alors il s’accommoderait du premier truc venue. Un nouveau rire, discret et bref quand elle lui demanda s’il était de la famille. Il secoua la tête, toutes dents exposées par son sourire.

« Non, je ne suis pas de cette famille, de près ou de loin. » Il ne l’était pas généalogiquement maintenant, l’Irish c’était un peu sa maison vu le temps qu’il y passait alors, peut-être que c’était un peu de la famille… Non, il avait toujours eu du mal à considérer les choses de cette manière. « C’est juste que je suis dans cette ville depuis tellement longtemps que j’ai presque l’impression de faire partie des murs. »

Jack attrapa sa bière pour en boire un peu avant de porter un regard interrogateur sur la jeune femme qui était face à lui. Franchement, il ne comprenait pas qu’elle vienne se perdre ici, elle avait un monde entier qui pouvait s’ouvrir devant elle mais, non, elle venait dans cette petite ville. Forcément, ça lui rappelait qu’elle était journaliste, que les évènements ici pouvaient avoir un attrait particulier.

« Pourquoi t’es là ? »

Ici avec lui ? En ville en ce moment ? Il y avait un tas de façon de prendre cette question qui était peut-être un peu trop directe mais, c’était jack, tourner autour du pot pendant des heures ce n’était pas son genre. Pas la patience pour. D’un autre côté, elle pouvait lui donner la raison qu’elle voulait, il n’était pas certain de vouloir la réponse. Peut-être qu’il avait juste envie de croire qu’il était un attrait de personne à personne et non pas de personne à journaliste.

L'Irish n'était pas sa famille mais son journal non plus. Shannon avait une famille de sang mais pas de coeur. Voilà au moins une chose qu'elle pourrait envier à Jack. Elle avait même souri à l'idée qu'il puisse se transformer en mur. Sourire qui n'avait pas duré que jusqu'à ce qu'il pose sa question. A la suite de celle-ci, elle s'était un peu fermée, baissant les yeux en clignant des paupières et elle reposa son verre sur la table, doucement, sans un bruit. Les quelques tables restantes permettaient d'entendre la musique de fond et Shannon se sentit un peu seule. Dans le sens où, finalement, elle aurait aimé un peu plus de monde pour se fondre dans la foule. Au lieu de ça, elle porta ses mains jointes contre ses lèvres et releva les yeux sur Jack. Elle aurait aimé discuter un peu plus avant. 

Poser des questions en tant que journaliste, c'était franc, net et sans couverture possible. Mais de cette façon, sans article à la clé, juste une enquête personnelle... Elle ne portait pas d'uniforme, elle venait de lui dire quelque chose de très personnel sur elle, que très peu de personnes savaient. Shannon n'était pas une femme à hommes contrairement à ce qu'on pouvait dire sur elle, ce n'était pas non plus une mante religieuse, encore moins une croqueuse d'hommes riches. Elle aurait peut-être aimé être un peu plus longtemps cette... "fille" à qui Jack souriait sans la juger. Mais rien qu'avec cette question, c'était comme lui renvoyer l'image que les autres aimaient donner d'elle. Loin d'être une victime, Shannon savait qu'il y avait du vrai, mais aussi du faux. C'était le risque de son métier, le risque de la télé en général et elle gérait tout ceci plutôt bien. Inspirant profondément, elle enleva les mains de devant sa bouche et se racla la gorge avant de se replacer correctement un verre, son pied entre son index et son majeur. Chacun de ses gestes était aussi délicat qu'elle aurait pu l'être si Jack n'avait pas mis les deux pieds dans le plat. Mais elle n'aurait pas pu lui mentir. Il n'était pas... un méchant, il n'était pas une tête à mettre sur une pique. Il était une clé. Elle avait une serrure, elle voulait voir s'il correspondait.

– Ma nièce, George, m'a fait un aveu récemment. J'ai dû la cuisiner un peu, elle agissait de façon très étrange, je dois avouer que j'ai commencé à m'inquiéter il n'y a que peu. J'aurais aimé qu'elle m'en parle avant, j'aurais pu la protéger sans qu'elle ne doive se cacher... Elle est ce que j'ai de plus cher au monde alors je donnerais ma vie pour elle. Elle est si jolie, aimante et drôle, je pense que je serais capable de beaucoup de choses pour lui rendre la vie plus facile. Je serais capable de braver la loi, s'il le fallait.

Elle sourit un peu plus en regardant le verre entre ses doigts et haussa une épaule en plissant légèrement le nez.

– Mais ses notes chutent, je commence à avoir peur pour son avenir et je ne sais pas quoi faire pour l'aider. Je pense... Que je peux te faire confiance si je te dis que... Depuis un moment, elle fait des rêves étranges.

Elle releva alors les yeux sur Jack.

– Elle voit parfois des choses... Avant qu'elles n'arrivent. Alors elle a de plus en plus peur de dormir, elle est terrifiée et incapable de comprendre ce qui lui arrive. Cela fait un an maintenant et elle ne m'en a parlé qu'il y a quelques jours. 

Sa voix s'était faite comme un murmure. Pas par discrétion, bien que ce soit une raison tout à fait valable, mais plutôt par émotion. Elle haussa les sourcils en fixant Jack et rentra la tête dans les épaules, comme si elle ignorait comment exprimer son impuissance.

– Ma nièce a des problèmes et j'ignore comment l'aider. Quelle tante je serais si... je ne pouvais protéger mon bébé ? Et je me demandais...

Une seconde, Shannon joignit à nouveau ses mains contre ses lèvres puis elle les ferma finalement en un poing pour soutenir son menton, ses yeux toujours dans ceux de Jack et alors elle lui sourit, presque désolée.

– Depuis quand est-ce que tu as ces malaises, Jack ? Parce que depuis que ma nièce a été témoin des disparitions, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même...

Jack était désolé de la question qu’il avait posée parce qu’elle ne semblait pas vouloir l’entendre, au même titre qu’il n’était pas certain d’entendre la réponse – ce qui se confirmerait par la suite – mais, est-ce qu’il était vraiment blâmable ? Le fait qu’il ait été témoin n’était pas un secret alors les questions des flics, des journalistes, de tout ce qu’on pouvait trouver, il en avait eu sa dose. Il lui demandait même de mentir pour que, pour une fois, il puisse parler avec un média quelconque sans que ce soit un rapport avec toute cette histoire. Il voulait bien accepter qu’un verre de scotch soit un peu trop pour elle et que c’est pour cette raison qu’elle avait accepté un verre ce soir-là, plutôt que de le faire bien avant. Lui mentir, c’est tout ce qu’elle avait à faire mais, il comprit que c’était une espérance vaine à voir la réaction qu’elle venait d’avoir. Il en regrettait sa question, sa façon de poser les choses trop directement.

Il n’avait pas besoin de pouvoir spécial, ni de prémonition pour savoir que quand une personne parle d’un témoin à un autre témoin, le sujet abordé était presque inévitable. Surtout quand Shannon commençait en expliquant que George lui avait fait un aveu. Enfin ce n’était pas si clair que ça pour lui, peut-être parce qu’il n’en parlait pas mais, il y avait tellement de choses étranges dans le coin. Il n’y avait rien pour que Jack puisse douter de l’attachement que Shannon avait envers sa nièce. Rien. Ce qui l’amena à poser son coude sur la table – et tant pis pour les bonnes manières qu’il n’avait pas – en portant la main sur le côté gauche de son front, le frottant doucement l’air de réfléchir sérieusement à ce qui était en train de se dire. Mais quelle idée il avait eu d’accepter de sortir, de poser cette question bêtement ?!

Elle voit des choses. La main de Jack quitta son front mais resta à proximité de son visage pendant qu’il avait redressé la tête en bloquant sur ce qu’elle venait de dire. Un an… Pourquoi est-ce qu’il n’était pas surpris. En fait, c’était peut-être ça sa plus grande erreur : ne pas être si surprit par ce qu’elle venait de dire. Shannon était en train de lui faire l’ouverture la plus parfaite avec ce qui venait de se passer ce soir. Le sujet de conversation était idéal et elle avait tellement l’air de vouloir aider George mais… Elle avait misé sur la mauvaise personne pour porter sa confiance parce que, c’était Jack, que les seules personnes qu’il voulait bien faire passer avant lui se comptaient sur les doigts d’une main. Et, sur ce peu de personnes, il y en avait une, très spéciale à ses yeux, très particulière et, si Jack devait parler de ce qui s’était passé ce soir, elle devait être la première au courant. Il ne concevait pas que ça puisse être autrement et, là, tout de suite, il détestait ce concept parce qu’il ne pouvait pas rêver d’une meilleure approche que celle de Shannon. Cette situation en était presque risible. Lui, qui ne parlait pas avait soudainement envie de le faire et il avait décidé de quitter le bar sans la compagnie de celle qu’il voulait voir l’écouter. Tout faux. Sur toute la ligne. Il laissa sa main retomber sur la table devant lui, avant de porter son regard sur la jeune femme qui, là, avait plus des airs de femmes normales que de journaliste.

« 3 ans. »

Il avait l’air désolé et, honnêtement, il l’était. Mais, si Jack avait l’air désolé ce n’était pas parce que la réponse qu’il venait de donner Shannon était différente de celle qu’elle voulait entendre. Il l’était parce qu’il était en train de lui mentir et que, d’une certaine manière, il était en train de culpabiliser. Il eut un rire, léger, nerveux en passant les mains sur ses yeux. Un soupir, il retira ses mains et la regarda.

« Mentir, tu ne pouvais pas juste mentir histoire que les choses soient plus simples. »

Ce n’était pas un reproche, juste un regret. Il attrapa sa bière, en se disant qu’il aurait dû commander quelque chose de bien plus fort, et en bu quelques gorgées… A moins que ce ne soit qu’une seule et longue gorgée. Il reposa son verre en plein dilemme face à ce qu’il devait dire, ce qu’il devait éviter soigneusement. Il secoua la tête et finit par la redresser, les deux avant-bras posé sur la table devant lui.

« Franchement Shannon, je ne sais pas pourquoi tu me dis ça et encore moins ce que tu veux que je te réponde. » Il haussa légèrement les épaules tout en balançant un peu se ses mains. « A la limite je veux bien te dire que je suis un peu fatigué parce que je me couche tard » Encore un qui devait passer ses soirées sur Internet à parler à on ne s’est qui « Mais je dors bien. Alors, je ne vois pas en quoi je peux t’aider. » Il ouvrit la bouche, prêt à continuer mais l’air s’arrêta dans sa gorge, ça lui prit deux secondes avant de reprendre. « Dire que tout est normal depuis ces disparitions serait probablement le plus gros mensonge de ma vie mais, je n’ai aucune idée de ce qui peut arriver à George. Je suis désolé. »

Et finalement, en y regardant bien, hormis les 3 ans annoncés, il ne mentait pas. Il ne dormait bien, pas de vision en pleine nuit ou alors ça ne lui était pas encore arrivé. Et, surtout, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait alors, comprendre ce qui arrivait à George ce n’était même pas la peine d’y songer.

« Je croyais qu’il y avait un médecin dans la famille, il en pense quoi lui ? »

Shannon avait beau avoir fait de la sociologie, elle ne comprenait pas bien ce comportement là. Pourquoi lui demander à elle pourquoi elle n'avait pas juste menti ? Elle fronça les sourcils, se redressa et prit une attitude que n'importe qui aurait pu qualifier de rebelle, de "wesh", avec un léger rictus au coin du nez provoqué par sa lèvre supérieure. Et sa voix qui grimpait dans les perchés, alors qu'elle était d'un naturel assez grave, finalement et posé.

– Pourquoi m'avoir posé cette question, j'entretenais la conversation !

Elle ne mentait pas mais lui si. Elle le voyait bien dans ses yeux, elle le voyait à sa façon d'avoir réagi au "don" de George. Shannon n'était pas stupide et elle savait que Jack ne l'était pas non plus mais elle ne comprenait pas pourquoi est-ce qu'il mentait ici. Ce qu'elle voulait qu'il lui réponde ? Elle fit un geste des mains vers lui, sans quitter son expression mi vexée mi impatiente.

– Mais que tu me dises la vérité, enfin !

Elle leva une main et regarda ailleurs pendant qu'il finissait ce qu'il avait à dire. Elle avait décidé de faire sa à sa manière perso, discrète, calme et en confiance et lui, il avait mis les deux pieds dans le plat. Encore un qui ne voyait jamais rien d'autre qu'une journaliste en elle. D'accooooord, elle l'avait cherché. Mais ce soir, n'avait-elle pas montré qu'elle était capable d'être quelqu'un d'autre ? Shannon faisait ça rarement. Récemment, elle s'était ouverte à une personne parce qu'il avait semblé voir quelque chose de spécial en elle, et elle avait aimé ça. Et ce soir, elle le faisait parce qu'il le fallait pour que Jack ait confiance en elle. Mais il gâchait tout, finalement. A sa question, elle soupira en roulant des yeux, reprenant son attitude assez rigide et son masque de la télé, suffisamment hautain pour être tout à fait hermétique.

– Son père ne sait rien, Jack.

Elle tourna à nouveau les yeux vers lui et pencha la tête avant de soupirer, cherchant à retrouver ce court moment de simplicité qu'il lui avait offert un peu plus tôt.

– Sa mère non plus, je suis la seule à qui elle s'est confiée, et maintenant je me suis confiée à toi. La police ne sait pas ce qu'elle a vu. C'est de ça que je la protège, tu comprends, je suppose !

Mais pour être convaincu, elle comprit qu'il lui fallait plus lourd que sa nièce. Cependant, Jack ne voulait pas aider, c'était clair. Elle pouvait tout à fait comprendre son point de vue, cela dit. Mais quand il s'agissait de sa nièce, Shannon était encore pire que quand elle faisait un article sur un couple qui n'en savait rien : elle perdait son objectivité.

– Ce que je pense, c'est que tu sais ce qui lui arrive mais que tu refuses de m'aider parce que tu penses comme tout le monde ici, que je ne suis qu'une journaliste véreuse, opportuniste, égoïste et égocentrique !

Alors qu'elle tournait vivement son verre entre ses doigts, signe de nervosité, elle haussa les sourcils.

– Et vu que tu me vois comme une riche bourgeoise sûrement capricieuse, je pourrais tout aussi bien me lever de cette table et m'en aller ! Mais je ne le fais pas. Et je ne sais pas pourquoi. Et je déteste ça.

Il avait pincé les lèvres, lever les légèrement les mains avant de le laisser retomber, l’air de dire qu’il n’en savait rien. Enfin, il savait qu’il avait posé cette question pour être fixé, parce qu’il n’avait pas eu envie d’être juste un jeu ou quelque chose de ce genre. Il avait posé la question parce qu’il ne pouvait pas la poser mais… Quelque part, il n’avait pas eu envie de la vérité. Il avait juste un doute, ne voulait pas que ça le travaille toute la soirée et, elle aurait pu l’enlever en mentant parce qu’il aurait bien voulu croire n’importe quoi plutôt que d’avoir cette conversation.

Lui dire la vérité, non mais elle était sérieuse ? Il n’en parlait déjà pas à son entourage, sauf à une exception, et elle pensait réellement qu’il allait juste tout lui dire ? Pour le coup, il la regardait comme si elle avait un peu perdu la tête. Qu’est-ce qu’elle croyait, que jouer sur le sentimentalisme de sa nièce allait permettre d’ouvrir des vannes pour lesquelles il luttait afin de les maintenir fermées ? C’était du délire complet ! Ok. Sa bière et vite avant qu’il ne sente un mal de crâne monter en puissance. C’était presque hallucinant de voir comment une situation pouvait dégénérer en si peu de temps. Et bizarrement, il évita de répondre, encore plus de manière agressive – ce qui était parfaitement son genre – parce que les choses n’avaient pas si mal commencé… D’accord, peut-être aussi parce que ce qu’elle avait dit sur George lui parlait et qu’elle avait vraiment l’air d’avoir envie d’aider cette petite nièce.

Il secoua la tête négativement parce que, non, il ne comprenait pas. Ce n’est pas en parlant à un type qu’elle ne connaissait pas tant que ça qu’elle pouvait protéger sa nièce. Qu’est-ce qui lui garantissait qu’il ne dirait rien derrière ? Juste des suppositions ? Même lui n’était pas convaincu de garder le silence s’il venait, par exemple, à parler de ce genre de chose avec Penny. Elle s’était plantée de type. Même lui, il ne ferait pas confiance à quelqu’un comme lui qui pensait d’abord à lui. Il avait fini par lever légèrement les mains comme une évidence.

« Si tu ne te lèves pas de table tout de suite, c’est sûrement à cause de ta nièce et des réponses que tu veux. »

Elle se demandait pourquoi, lui pouvait au moins lui fournir une des explications possibles, celle à laquelle il croyait en tout cas. En fait, il n’en savait rien et il n’avait aucunement attention d’être blessant dans ses paroles c’était juste le sujet abordé qui avait tendance à lui mettre les nerfs à vif. Il passa une main sur son visage, soupira et se décida à reprendre sur un ton bien plus neutre.

« Shannon. » Il posa son regard dans le sien « Ce que je pense de toi ou non, ne changera pas ma réponse. Je ne sais pas ce qui arrive à George. »

Il avait très bien articulé et ne pouvait pas être plus sincère vu qu’il ne mentait pas. S’il le savait, ça voudrait dire qu’il savait aussi ce qui était en train de lui arriver et là, ça serait merveilleux mais ce n’était pas le cas. Il se pencha très légèrement.

« Comment, tu veux que je t’aide si je ne comprends pas ce qui lui arrive. Parce que si tu penses que je suis capable de voir l’avenir et les réponses dans une boule de cristal, c’est foutu. Je ne sais pas le faire. »

Il leva les mains, se redressa pour aller s’appuyer sur le dossier de sa chaise. Même avec de la bonne volonté, il ne voyait pas comment il pouvait l’aider. Après tout, elle ne lui demandait pas de lui dire ce que lui avait depuis les disparitions. Pas directement.

Shannon n'était pourtant pas capricieuse mais elle était vexée. Vexée que tout ne se passe pas comme prévu alors que tout allait bien. Quand bien même Jack ignorait ce qui se passait et pourquoi, la journaliste était convaincue qu'il pouvait au moins l'épauler, l'aider à comprendre ce qu'ils n'arrivaient pas à comprendre. Les bras croisés sur sa poitrine, elle tourna les yeux vers Jack pour l'écouter, ses lèvres se serrant sur le côté dans une moue peu commode. Elle ne demandait pas à Jack de résoudre toutes les énigmes, elle ne lui demandait pas de lui dire ce qu'il voyait... Seulement de faire sa part de témoin !

– Ok...

Au bout d'un moment, alors qu'on leur servait leur repas, elle se pencha pour attraper son sac et fouiller dedans, ses cheveux formant une barrière. Elle en sortit un carnet noir gonflé par des morceaux de papiers et des marques pages un peu partout - qui disait qu'être belle et populaire vous rendait moins bordélique ?! Finissant par trouver ce qu'elle cherchait, elle déplia une feuille et la fit glisser sur la table vers lui. Il s'agissait d'un dessin, à la peinture, représentant le Tor mais avec des pierres levées, pas comme celui de Glastonbury. De plus, l'on pouvait voir, entre les pierres, des femmes avec les bras levés. Le dessin était plutôt bon, d'ailleurs. Shannon recala une mèche de cheveux derrière son oreille et montra le dessin d'un index.

– Ceci a été dessiné par un témoin des disparitions il y a plus de 6 mois. Parfois, la journée, alors qu'il fait soleil, que les grands parents préparent le thé dans le salon à côté et que le neveu joue à la balançoire dans le jardin, il fait un... Malaise ! Pendant quelques secondes, il disparaît. Physiquement, il est ici mais ses yeux sont ailleurs. Alors il se met à dessiner tout et n'importe quoi, peu importe où il est. Les murs, l'assiette avec des légumes, une fumée de cigarette... Alors il a fini par acheter un carnet pour économiser la peinture et la tapisserie.

Elle porta ses mains à ses joues et dévisagea Jack comme si c'était la fin de son monde. Pinçant les lèvres, elle secoua la tête, elle était comme... Désespérée. A croire que Jack était sa bouée de sauvetage, sa solution de dernier recours, celle qui ne pouvait que marcher.

– Tu pourrais au moins lui parler ? Lui dire que tout va bien ? Je ne peux rien faire pour elle, je ne vois rien de ce qu'elle voit, je ne comprends pas ce qui se passe et je me sens si impuissante ! Alors j'ai pensé que... Si je te proposais quelque chose que tu voudrais, tu pourrais parler à ma nièce. Vous n'êtes pas dix mille témoins, vous n'êtes que 5 et les autres sont soit des gens que je ne veux pas qu'elle fréquente, soit ils sont trop vieux, soit ils ils sont nuls en relations humaines.

Jack était bien sa dernière solution.

Jack s’était appuyé sur le dossier de sa chaise, enlevant ses mains de la table pour laisser le serveur poser leur commande tranquillement. A peine parti, qu’il avait déjà remis ses avant-bras sur le bord de la table, devant son assiette, un sourcil relevé en se demandant ce que Shannon pouvait bien chercher dans son bordel. Il avait toujours cet air interrogateur quand elle passa le dessin sur la table et, ce n’est que quand elle commença à donner des explications qu’il se décida à poser son regard sur la feuille. Il ne s’en était pas rendu compte mais, l’espace de deux secondes, il avait simplement cessé de respirer. Et, parce que les choses étaient bien faites – ou pas, dans son cas – c’est à ce moment-là que Shannon parla de malaise. Il ne savait pas, peut-être parce qu’il se savait ‘coupable’, ou la façon dont elle avait détaché de mot du reste de sa phrase mais, Jack le prit pour lui, comme un rappel à ce qui s’était passé dans le bar.

A cet instant précis, il l’a détestait.

Il se sentait pris dans un piège qu’il ne maitrisait pas et qu’il pouvait dire ce qu’il voulait, il ne serait pas crédible. Et là, il regrettait ce dernier regard porté à Penny avant de partir. Il ne gérait rien du tout. C’était une raison suffisante pour la détester tout en étant incapable de quitter la table. Peut-être parce qu’il pensait que ça le rendrait encore plus suspect ou alors, sans savoir l’expliquer, il avait juste envie de l’écouter parce qu’elle voulait aider quelqu’un qui n’avait rien demandé. Comme tous les témoins. Jack avait à peine regardé le dessin. Il le connaissait par cœur pour l’avoir vu. Remontant son regard sur Shannon, un sourire un peu nerveux sur le visage.

« Lui dire que tout va bien ? T’es sérieuse ? »

Il secoua la tête en se demandant en quoi voire des choses étaient ‘aller bien’. C’était absurde. Il repassa une main sur son visage dans un soupir, snobant complètement son plat qui ne l’intéressait pas. Son coude sur la table, sa main avait finalement quitté son visage pour s’animer doucement à côté de son visage alors qu’il parlait à Shannon.

« A priori tu vois ce qu’elle voit puisque tu as ce genre de dessin » Il désigna le dessin d’un mouvement de main. « Admettons, un instant, que ce soit propre aux témoins de voir ce genre de chose. » Et il avait bien insisté sur le fait que ce ne soit qu’une possibilité. « Je ne pourrais pas plus expliquer que toi ce qu’elle voit. »

Et oui, il avait bien noté qu’elle proposait quelque chose en échange, ce qu’il voulait mais il préféra faire comme s’il n’avait rien entendu, ou que l’information était passé à la trappe. Ok, il était égoïste et faisait passer beaucoup, vraiment beaucoup de choses après lui. Mais là, on parlait d’une gamine de 18 ans qui vivait un calvaire que lui aussi connaissait. Il y avait égoïste et insensible. Il entrait dans la première catégorie, beaucoup moins dans la deuxième même si Jack n’aimait pas le crier sur tous les toits. Limite ça l’arrangeait qu’on le mette dans cette seconde catégorie.

« Et toujours sur cette même hypothèse, j’accepte je vais lui parler, tu crois que ça va donner ? Que ça va l’aider en quoi ? Parce que je n’aurais pas plus de réponse à lui apporter que toi. Savoir qu’elle n’est pas seule ? Elle doit déjà le savoir puisque tu as l’air de penser que c’est propre aux témoins. »

Dans un sens il était sincère parce qu’il ne pensait pas qu’aller lui parler aide les choses. Au mieux, ça apportera plus de question que de réponse. Et il en arriva à une seule conclusion possible et elle n’allait pas vraiment dans son sens à lui…

« Sa meilleure chance, à ta nièce, c’est toi. T’as les capacités et les moyens de chercher à comprendre. Si George a besoin de quelque chose, c’est plus de réponse qu’autre chose, en vue de ce que tu m’as dit. »

Spoiler:

Bien sûr qu'il aurait pu lui dire que tout allait bien, non ? C'était un homme ! Un adulte ! Les femmes aimaient entendre que tout allait bien, qu'est-ce qui clochait avec ce type ? De plus, Shannon savait que, contrairement à elle, Jack était tout à fait le genre de type qui attirait George comme le miel et les abeilles. Il avait ce magnétisme, cette force, ce côté un peu mauvais garçon qui faisait sûrement rêver toutes les filles. Sauf Shannon, forcément. Et pour ne rien gâcher au paradis, même son comportement ne lui plaisait pas ! Shannon hocha fermement la tête, les sourcils froncés et les lèvres entrouvertes, elle semblait toujours plus vexée.

– Bien sûr que je suis sérieuse !

Puis elle roula des yeux en soufflant avant de prendre ses frites avec les doigts pour les manger nerveusement. Avait-on déjà précisé que Shannon était passablement impatiente ? A partir de là, elle n'écoutait plus que d'une oreille. Pas qu'il l'ennuyait, mais elle n'aimait pas ce qu'il disait, c'était hors de son contrôle, et ça l'agaçait. De plus, elle avait l'impression de ne pas pouvoir en placer une ou, pire, que lui ne l'écoutait pas. Prenant son verre dans sa main, elle le regarda lui coiffer les cheveux dans le bon sens et elle pencha la tête, parfaitement incrédule. Dans la famille de George, du côté de la mère, donc de Shannon, il fallait savoir que les femmes étaient connues pour être stressées, vives, hyperactives et impulsives. Ces traits dominants provenaient très certainement de leur mode de vie respectif. L'aînée, dans la recherche, participait à de nombreuses conférences dans le monde et la cadette était une angoissée notoire de la perfection.

Elle pinça les lèvres et leva son index, faisant rebondir ses bracelets entre eux, puis elle termina son verre d'une traite, dévoilant gorge et menton, avant de le reposer sur la table. L'alcool avait le mérite de la calmer, de la rendre suffisamment stone et groggy pour endormir son système nerveux. C'était un moyen comme un autre, malheureusement pour certains... Ca passait vite pour de l'alcoolisme. Elle se racla la gorge et prit de nouveau des frites qu'elle porta à sa bouche avant de hausser les épaules.

– Je ne suis pas un témoin de l'enquête, je n'ai rien vu. Je n'ai pas de vision quelconque, je n'ai pas de symptômes de l'épidémie, je ne m'effondre pas dans la seconde. Je ne suis pas comme cette... Bonne femme d'Andrea Wilkes et je ne marche pas au coeur des habitants de cette ville comme si c'était ici que j'avais toujours vécu en me pavanant "J'ai vu des trucs, j'ai vu des trucs !"

En disant cela, elle s'était redressée et avait agité ses mains et ses doigts au niveau de sa tête, le visage ahuri. Il était très clair que Shannon et Andrea ne s'aimaient pas et ça n'avait pas trait qu'à l'enquête ou aux disparitions, c'était bien plus que ça. On ne pouvait pas aimer tout le monde, c'était bien connu mais Shannon était autant habituée aux critiques qu'au fait que, malgré tout, tout le monde l'aimait ! Elle était si jolie, douce et souriante, elle était accueillante et généreuse. Pourquoi ne l'aimerait-on pas ! Elle soupira et croisa les bras sur le bord de la table pour se pencher vers Jack, optant pour un ton sur la confidence, plus discret. Elle le fixa un long moment, les lèvres pincées - un tic chez elle - avant de reprendre, détachant proprement chacun de ses mots pour les alourdir.

– Tous les témoins sont étroitement surveillés, Jack. Vous êtes spéciaux. J'ignore comment. J'ignore pourquoi. Mais je sais qui pourrait vous aider car contrairement à ce que tu crois, je ne peux rien faire. Ce témoin entre en transe au moins une fois par semaine et se met à dessiner des choses... Qui n'existent pas et qui ne sont pas encore arrivées. Un autre témoin m'a confié s'être retrouvé dans des endroits qu'il ne connaissait pas, comme lorsque l'on s'endort et qu'une nouvelle vie commence. Ma nièce, Georgiana, fait des rêves et les revit quelques jours plus tard, éveillée. Combien de malaise du genre de ce soir tu as eu cette semaine ? Et toi, qu'est-ce que tu vois ?

Elle avait porté ses yeux fixement dans les siens. Elle semblait bigrement sérieuse.

– Voilà un an maintenant, que je regroupe toutes les informations dans le dos de la police, dans le dos de Harry et aussi dans le dos de mon beau frère. Qui se soucie d'une femme aussi écervelée que moi, pas vrai ? Heureusement que tous les témoins ne pensent pas comme ça. Tu es tellement bien protégé et entouré dans ton satané pub qu'il m'aura fallu du temps pour réussir à t'approcher sans avoir une harpie pour me ficher dehors sous prétexte que je ne suis pas la bienvenue. Surtout maintenant que tout ce petit monde forme une adorable bande soudée. Est-ce que tu en fais partie, Jack ? Harry doit sûrement garder un oeil sur toi, tu es un témoin et son gamin a disparu alors je veux bien croire qu'en son cas, c'est légitime mais les autres ? Je suis pieds et poings liés, je suis encore plus surveillée que vous et si je m'écarte de ma route, quelqu'un va comprendre ce que je sais de plus sur chaque foutu témoin de cette foutue enquête. Pour la protection de ma nièce, ainsi que du reste de mes sources, personne ne doit savoir ce que je sais et ce que j'ai découvert. Mais je ne suis pas un témoin. Vous êtes 5, 6 avec Georgiana. Et vous allez devoir, à un moment donné, vous regrouper parce que quoiqu'il se passe ici... Ces aptitudes précognitives que vous semblez partager ? Ca n'a rien à voir avec moi, je n'ai aucune réponse à trouver. Vous êtes vos propres questions et vos propres réponses. Et j'ai besoin de toi, Jack... J'ai besoin que tu dises à ma nièce qu'elle n'est pas seule et que tout ira bien. Parce que je suis persuadée, je suis convaincue !, que tu sais ce qu'elle traverse et qui, mieux que quelqu'un qui partage ses angoisses, peut la rassurer ?!

Ses sourcils étaient froncés, inquiets et elle avait l'impression de le supplier, presque. Shannon n'avait pas pour habitude qu'on lui résiste et c'était ce que Jack faisait en étant plus malin qu'elle ne l'aurait cru. Oui, pour elle, à l'Irish, en dehors de Shahid, ils étaient à peu près tous aussi débiles les uns que les autres, sûrement à cause des kilomètres de litres de bière par jour, mais ça, elle ne le dirait pas. Elle inspira profondément.

– Est-ce que tu veux bien m'aider à t'aider ?

Spoiler:

Cette conversation commençait, passablement, à lui taper sur le système et, la bière qui lui servait de refuge n’allait pas suffire bien longtemps. Peut-être qu’il devait faire comme elle, prendre un verre, l’avaler cul sec et voir ce que ça donnerait ensuite. Non, hors de question parce qu’il devait rester maitre de ce qu’il disait. Combien même il se trahirait par des gestes ou de mauvaise expression, il ne comptait pas lui dire quoi que ce soit. Et, puis de toute façon, même s’il en avait envie, il ne pouvait pas le faire. Question de principe, elle ne serait pas la première au courant de ce qui s’était passé ce soir. C’était frustrant parce qu’elle y mettait de la volonté et du cœur à l’ouvrage pour lui arracher quelque chose. Un an qu’il se taisait, rien ne serait logique dans cette attitude s’il en venait à tout balancer à Shannon…

Il leva les yeux au ciel quand elle parla d’Andrea. Franchement, il s’en foutait de différent qu’il pouvait y avoir entre deux personnes, ou comment l’une voyait l’autre. Pas son problème et il en avait suffisamment comme ça pour pas se prendre la tête avec ce genre de chose. Etre étroitement surveillé ? C’était vraiment son argument de vente ? Parce que ce n’était pas comme ça qu’il allait se décider, comme par magie, à parler. Elle savait qui pouvait les aider. Très bien, qu’elle traine cette personne jusqu’à sa cousine parce qu’il ne se souvenait pas lui avoir demandé de l’aide. Il se pencha à son tour, elle voulait une confidence, il allait lui en donner une.

« Bin, je ne sais pas. Peut-être que j’étais en train de regarder mon portable au moment où les choses se sont produites et que ne les ayant pas réellement vus de mes propres yeux, je me retrouve à ne pas avoir les mêmes problèmes que les autres. »

Qui a dit qu’être sur place était suffisant ? Elle n’avait probablement pas plus de réponses que lui – bien qu’elle ait bien plus d’éléments – alors tout était possible, non ? Après tout, on parlait de gens, comme lui, capable de voir des choses qui n’existaient pas.

« Tu veux que je te dise que je vois des choses. » Il leva les mains en signe d’abandon. « Très bien. » Il jeta ouvertement un regard au dessin qu’elle avait sorti un peu plus tôt avant de reposer son regard sur elle. « Je vois un tas de pierres levé avec des femmes qui lèvent les bras vers le ciel. Contente ? »

Ok sa façon de faire devenait limite mais, elle s’attendait à quoi ? Savoir qu’elle ne l’avait pas abordé avant, juste parce qu’il était protégé dans le bar ne lui convenait encore moins. Finalement, elle était bien ce qu’elle était, une journaliste qui attendait juste le bon moment pour sauter sur quelqu’un. Un sourire, déçu parcourra son visage pendant qu’il secouait la tête en allant retrouver le fond de sa chaise. Et finalement, injustement probablement, il commençait à se demander si sa nièce n’était pas juste un prétexte pour l’attendrir ou un truc dans le genre.

Les mots qu’elle employait pour définir l’irish et les personnes qui s’y trouvaient étaient encore moins les bienvenues. Il ne s’était jamais posé la question de savoir s’il faisait partie de cette ‘famille’ mais, une chose était certaine, cet endroit il l’aimait, il y avait des personnes à l’intérieur qu’il appréciait bien plus qu’il ne voulait bien le dire. Les définir comme ‘harpies’ était la stratégie la plus pourrie qu’elle pouvait trouver parce que ça ne servait à rien, hormis le fait de l’énerver un peu plus et de le braquer.

« Tu vois Shannon, la différence majeure qui existe entre ses Harpies, comme tu les appelles, et toi, c’est qu’avec elles, au moins, je ne suis pas en train de mettre leurs paroles en doute à chaque fois. » Il se mit à sourire plus franchement en levant une main dans sa direction. « Tu t’es jamais demandé pourquoi ta cousine avait mis autant de temps à se confier à toi, et pourquoi elle ne t’as rien dit sans que tu lui tire les vers du nez ?  Parce que là, tu vois, je suis en train d’essayer de mesurer la confiance qu’elle peut d’accorder et, je me demande comment t’en viens à penser que si, j’avais quelque chose à confier, je le ferais avec toi ? »

D’accord il devenait peut-être un peu méchant sur ces dernières paroles mais elle attaquait la première. Alors, les remords ce n’étaient franchement pas pour maintenant. Il haussa les épaules, attrapa une de ses frites et leva les yeux au ciel en se pinçant légèrement les lèvres l’air de réfléchir.

« Alors… » Il réfléchissait vraiment puis finit par hausser les épaules. « Non, j’ai pas envie de ton aide en plus de ne pas en avoir besoin. » Sur quoi il mangea sa frite le plus naturellement du monde.

Pour Shannon, c'en était trop. Elle y mettait beaucoup de volonté et de sincérité pour rien et elle n'avait que peu de patience. Peut-être ne prenait-elle pas le meilleur ton ou ne s'exprimait pas de la bonne manière mais elle avait tout misé sur l'honnêteté - ce que beaucoup lui reprochaient de ne pas avoir. Et à l'entendre, c'était à croire qu'il ne croyait pas non plus à ce qu'elle disait. Mais le pire qu'il puisse faire, c'était de l'insulter. Et ceci pouvait facilement se faire sentir lorsqu'il prétendit que personne ne voulait lui parler, encore moins sa nièce. Shannon s'en sentit si offusquée que le reste de la conversation s'effaça. Elle se leva d'un coup, sa chaise vibrant sur le sol. Les mains sur le bord de la table, sa bouche était grande ouverte d'indignation. Georgiana était un sujet très sensible, celui qu'il fallait aborder et déformer pour énerver Shannon. Sans même connaître cette dernière, Jack avait visé tout droit dans le mil, là où rares étaient ceux capables de l'énerver à un point où la journaliste dévoilait sa véritable personnalité.

– Ma nièce ne parle qu'à moi !

C'était vrai. George ne s'était tournée vers sa tante que lorsqu'elle n'avait plus le choix face à ses interrogations, passant beaucoup de temps avec elle. Shannon ayant haussé le ton, des gens commençaient à se retourner et un serveur hésitait à intervenir. Mais la ville connaissait bien Shannon et tout le monde la savait fortement capable de se débrouiller seule. Ils ne l'avaient seulement jamais vue, le rouge lui montant aux joueurs de colère. A la télé elle était si souriante, si jolie, si... parfaite...

– Tu ne sais rien de ma nièce ni de moi, comment peux-tu oser dire une chose pareille !

Elle le fixa quelques secondes à peine avant de sortir un billet qu'elle posa fermement sur la table.

– T'as qu'à garder la monnaie !

Soudain, elle prit la bière de Jack et profita qu'il ne l'avait pas terminée pour lui éclabousser le visage avec. Au moins, ce n'était pas une baffe. Puis, elle contourna la table pour se diriger vers la sortie, d'un pas bien vif. Elle trouverait une autre solution, elle se débrouillerait toute seule, comme d'habitude. Jack ne voulait pas l'aider ? Très bien, qu'il reste dans son coin, dans son petit pub parfait... Shannon était bien énervée, Jack avait probablement réussi là où beaucoup avaient échoué.