Au deuxième jour des répétitions, Shannon devait se concerter avec Hayden pour leur scène de la déclaration d'amour dans les bois, en cachette de Arthur. Le premier jour avait servi à faire rencontrer tout le monde, à mettre en place les idées, à prendre connaissance du décor qui avait été réparé/revu de l'année précédente, plus des modifications, agencements améliorés etc. Cette année, Guenièvre, c'était Shannon O'dair, la journaliste émérite de Glastonbury, appréciée de la moitié de la ville, détestée de l'autre. Et au milieu, il y avait Peter. Le jeune homme n'était ni d'un bord, ni de l'autre. Finalement, il s'était même éloigné de Harry, son meilleur ami d'enfance car il ne supportait plus ses jugements sur Shannon. Pas que Harry la jugeait à ce point mais il désapprouvait totalement ses méthodes et il n'avait plus réussi à le cacher après les disparitions.

Mais aujourd'hui, c'était spécial ! Harry et Peter étaient ensemble et Shannon répétait avec Hayden. Elle ne connaissait pas bien le jeune homme, surtout l'histoire tragique de ses parents. Et encore, elle s'y intéressait peu. En fait, Hayden lui-même l'intéressait peu. Mais il sortait avec Penny... La jeune Penny, éternelle célibataire, célibatante de la région. C'était un changement autant pour l'un que pour l'autre alors elle leur avait même consacré un petit paragraphe dans un de ses articles. Shannon était une journaliste people en plus d'animer les nouvelles de la région.

L'association se tenait dans une maison, pas en centre ville avec un terrain, proche d'un bosquet. On avait donné aux participants un cahier avec le texte de toute la pièce. Elle résumait plus que ne racontait la légende d'Arthur. Sur environ 1h de pièce, il fallait partir de la génèse à la mort du roi, en passant par la romance de Guenièvre et Lancelot. Pour l'occasion, Shannon avait proposé à Hayden, pour répéter, de se retrouver à l'extérieur, profiter du beau temps et pouvoir mieux s'imprégner de la nature pour se déclarer une flamme. Et il allait en falloir du courage, car jouer un tel couple mythique avec un inconnu qui vous considère à peine et faisant partie du côté de ceux qui ne l'aime pas. Mais elle ne se laissa pas abattre. Posant son sac sur une chaise en fer forgé, elle sortit une bouteille d'eau avant de se tourner vers lui pour prendre une gorgée.

– Tu as le temps de lire, un peu ?

Shannon portait, comme toujours, sa grâce et son élégance malgré des vêtements assez simples pour une fois. Un legging tombant sur des ballerines fines assorties et un large t-shirt gris qui lui découvrait une épaule et un débardeur noir. Ses cheveux étaient tirés en arrière par un bandeau et ses boucles rebondissaient dans le haut de son dos. Et malgré ce côté un peu négligé, elle inspirait toujours autant de mode. Même sans maquillage, elle était belle. Et chacun de ses gestes paraissaient étudiés, jusqu'à l'odeur qu'elle dégageait. Tous ceux qui la détestaient en restaient éloignés de peur d'être pris dans son piège. Baissant sa bouteille d'eau, elle reprit son carnet.

– Ca va aller, Lancelot ?

Hayden était perplexe. Plus qu’un sentiment, c’était devenu un état permanent depuis que son nom avait été prononcé par Kellen pour participer au festival de Glastonbury. Lancelot du Lac ? Lui ? Premièrement, il estimait que rien en lui ne pouvait être assimilé à un quelconque acte chevaleresque. D’autre part, c’est un homme qui folâtrait avec la reine et qui s’était fait tromper par une hystérique qu’il avait passablement abandonné ensuite. Tout ça pour dire, que c’était ridicule selon lui et qu’il n’avait rien à faire là dedans. Malheureusement il avait fait une promesse à Penny et il ne pouvait pas revenir là-dessus. Il serait donc obligé d’aller courtiser Shannon pour le bien de tout Glastonbury. Lorsqu’ils s’étaient tous retrouvé dans un joyeux bordel pour le premier jour des répétitions, il était resté en retrait. Il n’avait pas l’habitude de se retrouver aussi souvent avec autant de monde et cela le décontenancé. Mais il avait fait bonne figure, avait donné son avis quand on le lui demandé et avait même prit la peine de lire un peu son texte histoire de ne pas passer pour l’épouvantail du coin. La journée achevée, il s’était écroulé dans le vieux fauteuil du salon, exténué par tant d’effort de socialisation. Malheureusement pour lui, ça ne faisait que commencer !!

Shannon O’Dair, aurait pu faire partie des femmes qui avaient partagé ses nuits à une autre époque. Elle était belle, blonde et un brun vindicative. Mais elle était aussi journaliste et de la pire espèce selon lui. A partir de là, les suppositions s’arrêtaient net. Elle aurait pu mais ne le serait jamais ! D’autant plus depuis qu’il avait vue son nom et celui de Penny dans les pages du torchon pour lequel elle écrivait. Là, c’était carrément de l’indécence quand bien même ce n’était pas foncièrement faux ou mauvais. Encore une fois, il avait du faire appel à sa patience et à l’affection qu’il portait à Penny parce qu’en d’autres circonstances, il aurait certainement préféré lui faire manger son carnet de répliques plutôt que de répéter avec elle.

Mais ce n’était pas ainsi que les choses se dérouleraient. Adossé à l’ombre d’un arbre, il observait la journaliste d’un œil toujours aussi perplexe.

- mhmmm

Il avait accompagné sa réponse d’un petit hochement de tête affirmatif. Ce n’est pas qu’il y mettait vraiment de la mauvaise volonté, mais il n’avait jamais joué de pièce de théâtre et il n’avait pas compté sur le fait de devoir le faire un jour. La jeune femme déambulait devant lui, vêtu presque négligemment et pourtant c’était comme si l’ensemble avait été savamment étudié. Elle était belle, ça il ne le contesterait pas. Un peu trop sans doute pour que cela soit naturel… Décidant qu’il n’avait de toute manière rien à perdre, il fit son plus beau sourire de séducteur, tout en plaquant une main sur sa hanche et l’autre à son menton, qu’il se gratta d’un air pensif.

- mmhmmmm et bien je crois… Tout dépendra de la qualité de Guenièvre…

Shannon devrait à nouveau mettre en oeuvre toute sa patience. Elle avait compris. Pourtant, elle ne quitta jamais son sourire. C'était sa réponse à l'animosité que renvoyaient tous les gestes de Hayden vers elle. Et même s'il la jugeait, ça n'avait pas d'importance. La vérité, c'était qu'elle était très excitée à l'idée d'avoir Hayden à ses côtés. Pourquoi ? Parce qu'il était un de la petite bande de l'Irish qu'elle allait bientôt pour convertir à... Son charme. Elle avait déjà écarté Peter, bien qu'il se soit écarté tout seul, et Hayden le remplaçait, d'une certaine façon. Elle trouvait ça plutôt amusant ! Pourquoi en avait-elle autant après Harry, aucune idée. A bien y réfléchir, Shannon n'en avait après personne. Elle n'aimait tellement pas qu'on la juge mal qu'elle avait parfois des drôles de méthodes pour faire comprendre aux gens qu'ils se trompaient sur elle. Elle aimait encore plus qu'ils le comprennent d'eux-mêmes. Shannon sourit un peu plus à sa remarque et, rangeant la bouteille dans son sac, elle pouffa de rire. Le genre "cause toujours, tu m'intéresses".

– Oh, elle est de qualité. Bien !

Elle lui donna un léger coup de carnet à l'épaule pour qu'il s'écarte et qu'elle puisse faire face au soleil, vous savez, son meilleur profil. Elle secoua légèrement la tête pour se concentrer, faisant voler quelques mèches de cheveux et elle se racla la gorge. Vous savez ce qui l'amusait le plus ? C'est que ce gars-là allait devoir l'approcher de très près. Vraiment très près. Ce qui l'amusait était ce que ça pouvait provoquer chez lui car elle n'était pas, elle-même, très emballée par l'idée. Embrasser des gens qu'elle ne connaissait pas, elle n'aimait pas trop. Encore moins des hommes. Ca la dérangeait, c'était un étalage de vie personnelle et une démonstration dégoûtante. Non, Shannon détestait ça. Mais c'était une pièce ! C'était pour de faux alors elle mettait tout ça de côté. Disons le franchement : heureusement que Hayden était plutôt mignon, sinon elle aurait du mal. Shannon était une bonne actrice... Quand elle avait de quoi répondre en face.

– Donc, Lancelot attend Guenièvre, ils se voient en secret, Arthur ne sait rien, il attend ce moment depuis longtemps et elle attend ce moment depuis longtemps... Il doit lui déclarer son amour et elle est passionnée. J'imaginais quelque chose... Un peu de tension, tu vois. C'est quelque chose de fort qu'ils partagent ! Plus qu'avec Arthur ou sa femme à lui. Ce sont deux âmes soeurs égarées qui ont l'occasion de se retrouver un instant, l'une avec l'autre. Je me disais que jouer sur cette forte tension qui les tient encore éloignés l'un de l'autre, rendrait leur...

Shannon leva les mains pour tenter de les rapprocher. Comment dire ça ? Bon sang, si elle se retrouvait plus perturbée que Hayden, qu'allait-elle devenir ? Elle haussa les sourcils.

– Bref, leur baiser, plus signifiant. Tu vois ce que je veux dire ? Ce serait, finalement, comme une consécration. Qu'est-ce que tu en dis ?

Hayden semblait si... blasé. C'en était dérangeant car elle s'attendait à plus d'animation de sa part. Il aurait été grognon et désagréable qu'elle aurait presque préféré. Mais elle ne voulait pas que Hayden voit tout ça comme une mise en scène ou comme une formalité. De son expérience dans les oeuvres de charité, qu'il y ait une compétition en jeu ou non, il était vraiment important d'y mettre son coeur et de la passion dans ce qu'on faisait. Être désignée d'office pour un rôle ou un autre n'avait pas d'importance. Quoi qu'on dise, Shannon aimait aider les gens. Elle n'était peut-être pas faite pour ça mais c'était une vocation sûre. Alors quand Hayden lui demanda ce qu'il pouvait dire d'autre, elle haussa les sourcils.

– Que tu partages ton avis, peut-être ?!

Elle détestait de devoir se l'admettre, mais il commençait à l'agacer. En vérité, beaucoup de choses agaçaient Shannon mais l'art était de ne jamais le montrer. Cependant, elle détestait ce sentiment négatif. Mais curieusement, elle avait envie de renverser la vapeur. Si Peter avait su voir des choses en elle, pourquoi des bonhommes comme Hayden, avec passablement le même statut familial de gosse de riches, ne pourrait-il pas ? Shannon y voyait ici comme... Un défi. Quand il commença à s'agiter pour la presser, elle soupira et pinça les lèvres. Si Hayden n'y mettait pas plus de volonté, elle ne donnerait pas cher de la représentation ! Comment faire quelque chose de puissant et d'intense quand l'autre en face semble s'en désintéresser. N'est-ce pas ?

– Ok !

Ce qui la gênait un peu dans cette scène, c'était le côté Romeo et Juliette qu'on avait voulu donner aux personnages. Et elle ne voyait pas ça de la sorte. Non, elle voulait quelque chose d'enflammé - ça aurait été plus simple avec Peter qu'avec Hayden - il fallait juste qu'elle se trouve une étincelle, sans quoi... Ca risquait fort de tomber à plat.

– Il faut juste que je me fasse à l'idée que Lancelot ne soit pas aussi viril que son roi ! Ca force pas l'inspiration.

Et elle lui offrit un sourire... de garce ! Il fallait l'avouer ! C'était fou d'en venir à valoriser un homme comme Harry contre quelqu'un comme Hayden. Harry était plus son genre que Hayden mais... Les deux étaient des amis, non ? Elle balaya l'air d'une main et se racla la gorge. Quand faut y aller... Shannon inspira profondément et elle imagina... Elle cligna des yeux. Elle s'était attendue à imaginer Peter à la place de Hayden pour se donner un coup de pouce en matière d'inspiration mais elle y avait vu quelqu'un d'autre. Elle secoua la tête pour retrouver ses esprits et se reconcentrer. Un jour, Peter avait ouvert la porte des possibilités. Celles où, finalement, elle se rendait compte de l'autre monde qui l'entourait sans forcément la richesse et la popularité en acteurs majeurs. Depuis, sa vie se transformait en enfer.

– Peu importe. Donc, Guenièvre retrouve Lancelot dans les bois après avoir échappé à la garde...

Ses esprits retrouvés, elle se recula alors de quelques pas pour faire son entrée. Elle regarda autour d'elle, cherchant quelque chose et parla d'une voix basse.

– Lancelot ! Mon aimé où es-tu ?

Si Hayden se contenta de hausser les épaules à la remarque de Shannon, il fit une moue dubitative quand elle lui signala que Harry était plus… viril que lui. Si c’était un bon ami, ça n’entachait pas mois sa fierté, d’autant plus qu’il y tenait tout particulièrement. Finalement Shannon semblait presque décontenancée par son comportement. Comme si elle s’était attendue à autre chose qu’un désintérêt partiel. Haussant un sourcil, il posa son cahier sur le côté. Il n’en avait pas besoins. Puis Hayden gonfla la poitrine comme pour se donner un air plus… viril puisqu’il s’agissait du problème selon là jeune femme.

- Comment peux-tu dire cela ? Tu n’as encore rien vue !

Se retournant, il s’éloigna à son tour de Shanon, s’adossant contre un arbre, les bras plié sur la poitrine, l’air songeur. Au fond, il avait passé sa vie à jouer des rôles, à être celui qu’il n’était pas vraiment. Qui avait-il de différent aujourd’hui. Fermant les yeux un instant, il fit le vide dans sa tête, tentant de s’imprégner du personnage. A la place de Shannon, il imagina Penny. Non, plus fort que cela. Il se remémora les vieilles histoires que lui comptait Marie. Celle d’une rencontre en particulier, de deux âmes sœurs qui s’étaient enfin trouvé. Comme une évidence. C’était bien de cela qu’il s’agissait non ? De l’évidence d’un amour contre lequel personne ne pouvait rivaliser. Imaginant le sourire de sa mère ce jour là, il sourit à son tour, de manière presque naturelle en entendant la voix de Shannon.

Lancelot se retourna. Elle était là, la reine pour laquelle il aurait donné sa vie. L’épouse du Roi mais la dame de son cœur à lui. Qui était-il pour demander et mériter son amour ? C’était un péché, mais il était sûrement le plus doux et le plus agréable qu’il ai pu connaître. S’approchant d’un pas presque hésitant, son sourire trahissait son désir de la prendre dans ses bras autant que sa retenue dû au rang de sa dame. S’inclinant légèrement face à elle, il finit par mettre un pied à terre tout en prenant délicatement sa main droite où il y déposa un galant baiser.

- Ma reine… Ma dame… vous êtes donc finalement venu.

C’était inespéré et à la fois dangereux. Ils allaient contre leur destin en se voyant ce soir. Ils allaient contre la bonne marche du royaume, pourtant Lancelot n’aurait pu souffrir plus longtemps d’être ainsi tenu éloigné de la dame de son cœur. Restant agenouillé la tête basse, il attendait qu’elle lui signifie ses propres sentiments. Car il ne pourrait pas plus se déclarer si elle n’en ressentait pas le désir. Relevant la tête, il croisa le regard de Guenièvre, un regard plein d’attente et de passion à la fois.

Hayden était parfaitement immobile. Immergé dans son rôle, jusqu’au plus profond de lui-même. Il avait déjà ressentie la même chose, quand quelques temps plus tôt, Penny avait franchit le seuil de sa porte. S’il ne s’était probablement pas senti aussi désemparé que Lancelot face à Guenièvre, il était pourtant dans la même situation. Car Penny aurait très bien pu le laisser là elle aussi…

Guenièvre avait cette beauté de la jeunesse. Ses longs cheveux blonds et bouclés, ses grands yeux bleus, elle était la plus belle femme du royaume. Et son sourire... D'aucun n'aurait pu dire si elle incarnait un ange ou une colombe. En croisant le regard de Lancelot, son sourire s'élargit et, soulevant les pans de sa robe, aussi onctueuse qu'une crème fouetté, elle parcouru les pas qui le séparaient de lui. Elle le suivit du regard alors qu'il se mettait à genoux à ses pieds pour lui baiser la main. Ce qu'elle ressentait pour lui était si fort et imprévu qu'elle songeait à lui, son visage, ses yeux, chaque jour un peu plus. Elle se laissa tomber à son tour, à genoux devant lui et prit ses mains dans les siennes pour les poser contre son coeur.

– Comment aurais-je pu ne pas revenir ? Vous êtes mon chevalier, ma moitié. C'est comme si j'étais née pour vous rencontrer. Et vous aimer. De toute âme et tout mon coeur. Me pardonnerez-vous un jour de ne pas avoir eu la patience de vous attendre ? Alors que...

A ce moment, elle posa une main sur le visage de Lancelot, épousant la forme de sa joue dans le creux de sa paume. Son pouce caressa sa barbe négligée alors que ses yeux étaient intensément plongés dans les siens, captant son regard. Elle sourit doucement en penchant la tête, son visage près du sien.

– Je me souviens de notre première rencontre, près du lac, vous souvenez-vous ? Je venais d'échouer, j'étais trempée, morte de froid et vous m'avez prise contre vous, plongé votre regard dans le mien, vos si beaux yeux bleus que je me serais noyée dans cette mer bleue. A cet instant, j'ai su. J'ai su que vous étiez l'homme de ma vie et je vous ai alors aimé. Avec tant de force que je ne m'en voudrais jamais assez de vous avoir trahi ainsi. Pour une simple couronne alors que vous êtes mon coeur. Lancelot...

Dans l'implication que Hayden mettait à jouer son rôle, Shannon n'avait plus eu qu'à s'en imprégner et à le suivre, oubliant le monde autour d'eux. Elle vivait par ces personnages. Sa vie sentimentale n'avait été qu'une suite d'échecs et de relations insignifiantes, sans frissons, sans passion. De mémoire, il ne lui semblait même pas avoir un jour été amoureuse. Quand bien même Peter était adorable avec elle et qu'il était, probablement, ce qui s'approchait le plus d'une relation sérieuse, elle n'était pas amoureuse de lui. Il lui assurait un certain confort mais ce n'était pas ce qu'elle cherchait. Alors elle vivait, à travers ces personnages. Le choix de Guenièvre, même en tant que roue de secours, elle l'avait pris comme une chance d'exprimer, enfin, quelque chose qu'elle ressentait tout au fond d'elle. Ou du moins, quelque chose qu'elle voulait ressentir. Peu importait pour qui, elle mourrait de ne pouvoir ressentir quoi que ce soit. De ne pas être comme ces personnages, emplis de passion et d'amour. Elle ne connaissait rien de tout ça. Alors elle vivait par procuration. Peut-être même était-ce la raison pour laquelle elle avait été contente que Lancelot soit joué par Hayden. Ce n'était pas Peter, non. Mais elle cherchait à se nourrit de cette passion qu'Hayden avait pour Penny. La jeune femme était plus proche d'une souillon que d'une princesse alors, jouer une femme comme Guenièvre, infidèle, c'était comme... Une bonne leçon.

Hayden s'avérait un bien meilleur comédien que Shannon aurait pu penser, et plus encore. C'était comme s'il n'y avait plus rien au monde que ce personnage en lui. Il n'en avait pourtant pas l'étoffe. C'était comme s'il n'avait même pas besoin de connaître son texte, pas plus qu'elle. Quand il l'avait pris dans son bras, elle ne s'y était tellement pas attendue qu'elle en avait raté un battement. Non pas qu'elle ressentait quoi que ce soit pour lui, c'était ce que ça signifiait, ce qu'elle aurait voulu ressentir, pour de vrai, un jour. Aussi, un manqua une ligne et déglutit avant de relever les yeux sur lui. Si seulement Hayden pouvait être réel, elle l'aurait probablement fui. Mais il jouait un rôle et c'était en train de la déstabiliser. Et elle refusait qu'un homme pareil la déstabilise. C'était interdit, il ne pouvait gagner, elle était censée gagner de lui ! Serrée contre lui, elle le dévisagea, le souffle court. N'importe qui aurait vu cette scène dans un film les aurait pris pour deux acteurs époustouflants. Le pire, dans cette histoire, c'est que Shannon ne jouait pas cette seconde de surprise. Elle dévisageait clairement Hayden, bien que ceci pouvait aisément passer pour son rôle à jouer. Bien sûr que lui aussi jouait ! Mais la différence entre ce personnage et lui était si flagrante qu'elle eut presque du mal à ne pas se laisser prendre au jeu. Elle retint au col de sa chemise pour rester proche de son visage. De mémoire, jamais personne ne l'avait un jour touchée de la sorte. Si tout ceci n'était qu'une répétition... Qu'est-ce que Hayden donnerait le jour de la représentation finale ?

Guenièvre avait ses yeux plantés dans ceux de celui qu'elle aimait plus que tout au monde. Elle était sur le point de se vendre, de se donner à cet homme pour qui elle se sacrifierait s'il le fallait. Il était tout ce qu'elle avait de plus précieux au monde et la Bretagne ? Elle s'en fichait. Pourtant, des questions la travaillaient. Elle se retint à Lancelot, serrant une main dans son cou.

– Alors pourquoi ai-je l'impression de trahir mon peuple ? Si vous et moi sommes faits l'un pour l'autre alors pourquoi ai-je si peur de ce qu'il pourrait avenir de nous ? Du monde ? Lancelot, s'il vous arrivait malheur, j'en perdrais la vie. Serrez-moi contre vous, mon chevalier car j'ai si peur. J'ai si peur de vous perdre !

Un instant le regard de Shannon perdit de son intensité. Guenièvre l’avait quitté quand bien même c’était à peine perceptible. Mais dans ses bras, la jeune femme semblait soudain moins sûre d’elle. Mais ça ne dura pas. Se rapprochant de lui en passant une main derrière son cou, elle finit par reprendre son rôle. Pour Hayden, c’était une mise en scène sans en être une. Si pour beaucoup Lancelot du Lac pouvait passer pour le dernier des personnages lui convenant, il aurait aimé en être plus proche. Parce qu’au fond, il était le fruit d’un amour aussi passionnel et il aurait aimé pouvoir en donner autant à la femme qui partagerait sa vie. Mais il y avait tellement d’incertitude sur cette vie justement, qu’il était bien incapable de faire véritablement ce genre de déclaration. Aussi, plus qu’être la répétition du spectacle, c’était un peu la répétition de sa propre vie. Shannon, n’était pas Shannon pour lui, elle n’était pas Guenièvre, elle était juste la femme qu’il aimerait de toute son âme. Cette femme qui pourrait très bien être Penny…

Serrant plus fort Guenièvre contre lui, Lancelot avait le cœur battant de l’amoureux transit, pourtant les inquiétudes de sa reine faisaient échos aux siennes et il savait que l’avenir serait semé d’embuche. S’éloignant d’un pas, il prit le visage de sa dame entre ses mains et planta son regard d’azure au cœur des siens. Une tempête y faisait rage, ce cruel dilemme entre la passion et le devoir. Il savait qu’elle serait le chemin à suivre s’il voulait rester l’homme noble de cœur, celui destiné à trouver le graal. Il savait le chemin de l’amant, celui qui le mènerait à trahir son Roi et son pays. Pourtant… Qui pouvait renoncer à une femme comme Guenièvre ?

- La raison d’Etat fait fit des raisons du cœur… C’est pourquoi tout ceci doit rester secret. Le Roi Arthur est un bon Roi et je souffre de le trahir ainsi, moi qui ai été fait chevalier de la table ronde et qui fait déshonneur à tous mes serments. Mais je continuerais à servir les intérêts de la Bretagne, car cet engagement là ne se perdra jamais. Tout comme vous, vous continuerez à porter dignement votre couronne. Cela doit-il véritablement nous empêcher de nous aimer ?

Laissant planer un instant le silence, Lancelot repris d’une voix plus douce sur un ton de confidence.

- Ma reine… Il n’y a que vous qui puissiez décider que je m’en aille pour ne plus jamais revenir…

Le chevalier le lui avait dit, sa vie était entre ses mains et son destin aussi. D’un mot, la reine pouvait décider de sa vie ou de sa mort et de son amour aussi. Il n’était que Lancelot du lac, Galaad, après tout, la décision ne lui appartenait pas.

Hayden releva la tête vers Shannon et croisa son regard. Laissant retomber ses bras le long de son corps, il l’observa un instant avant de souffler à demi mot tout en reculant d’un pas.

- Tu veux faire une pause ?

L’intensité de l’instant était tel qu’il se sentait las à présent. Il ne pensait pas avoir sur joué ou en avoir trop fait. En fait, tout lui paraissait juste. Un peut trop sans doute, au point qu’il avait du mal à redescendre sur terre et à chasser le chevalier de sa tête. Se massant la nuque, il chercha le regard de Shannon.

- Tu en penses quoi ?

Hayden lui avait épargné le baiser pour aujourd'hui. Quand il la lâcha finalement, Shannon était passablement raide, à bout de souffle et les joues rouges. Récupérant sa distance, elle laissa sa poitrine se gonfler sous sa respiration, le cou droit. Légèrement tournée et le menton haut, elle s'élevait de fierté en replaçant ses cheveux, comme pour effacer le passage d'Hayden, ne voulant pas qu'on puisse même sentir son odeur sur elle.

– Oui, faisons une pause. Très bien.

Shannon tira sur ses boucles pour les mettre en ordre.

– C'était très bien.

Si seulement elle avait cru que Hayden était capable d'une telle mise en scène, elle se serait réjouie plus tôt. Remettant son chemiser en place à son tour, elle releva finalement les yeux sur lui et l'étudia un instant. Il était bien plus doué que ce qu'elle aurait cru. Elle se sentait presque mauvaise à côté. Que faisait-il de ce talent ? Hayden l'avait soufflée. Il s'était plongé dans le personnage sans échauffement et bien que ça l'avait aidée à se porter, Shannon ne savait pas trop comment le prendre. Elle le dévisagea un instant avant de lui sourire.

Ses gestes, sa voix, Hayden avait joué ce que Shannon rêvait de vivre un jour. Une sorte de passion à la Roméo et Juliette, inavouée, cachée de tous, une véritable romance à la signification lourde de sens, et réelle. Elle acquiesça doucement mais en se demandant pourquoi il n'avait jamais proposé ses talents à l'association. Elle fronça les sourcils alors et croisa les bras.

– Tu es très doué, Hayden, comment ça se fait que tu ne participes jamais au festival ? Tu as pris des cours quelque part ? Tu sais, ils ont besoin de gens comme toi tous les ans... C'est un bon moyen pour faire quelque chose de bien, dans cette ville.

Shannon participait déjà à plusieurs opérations, et elle n'était pas forcément sur le devant de la scène. Elle en couvrait d'autres et cela pouvait passer pour du simple journaliste mais elle se donnait énormément pour Glastonbury. Elle aimait sa ville.

Si Hayden souhaitait continuer, elle avait peur de perdre ses moyens mais elle le ferait. Ne serait-ce que pour qu'il ne devine pas dans quelle position il la mettait.

Shannon fronça les sourcils. Elle ne s'était pas attendue à ce que Hayden se montre... bavard, en fait. Elle tourna même la tête quand il désigna les autres. Elle n'avait jamais imaginé que Hayden ne se sente pas chez lui ici. Pourtant, il collait bien dans le décor, selon elle. Elle retourna la tête vers lui et se rapprocha après avoir récupéré sa bouteille d'eau dans son sac. Shannon buvait... beaucoup d'eau. C'était à se demander où elle la mettait, finalement.

– Pourquoi tu dis ça ?

Sans que la journaliste s'exprime forcément, elle secoua la tête puis elle haussa les épaules.

– C'est chez toi, non ? Et tu n'es pas obligé de faire ça, simplement parce que Penny le demande. Enfin... c'est honorable et humble mais il y a plus que savoir de quoi on parle, Hayden.

Shannon était tout le contraire. Glastonbury était sa maison, sa ville. Elle y appartenait. Alors elle ne ressentait rien comme Hayden de ce côté-là. Elle était même triste pour lui. Il semblait si... résigné. Et puis, "savoir de quoi on parle", dans son cas, c'était étrange. Ca voulait dire quoi, qu'il connaissait la situation de Guenièvre et Lancelot ? Shannon cligna des yeux en l'observant.

– Peut-être que si tu t'impliquais un peu, tu y découvrirais un chez toi. Ils ne mordent pas tu sais. Il ne s'agit pas de... Toi, d'une part et de nous, d'autre part.

Malgré tout elle pouvait le comprendre. Elle trouvait juste ça étrange que quelqu'un comme Hayden qui avait pratiquement toujours vécu ici, ne puisse pas considérer cette ville comme la sienne. Alors elle haussa les épaules.

– C'est quoi... Les légendes ? Les gens ? Les touristes ?

Shannon pencha légèrement la tête en l'écoutant. Est-ce que Hayden ne nous ferait pas une petite crise ? Elle avait plutôt le souvenir d'un garçon moqueur, surtout depuis qu'il était avec Harry. Mais tout seul ? Il sembla à Shannon que Hayden était plutôt... désabusé. Elle trouvait ça dommage, d'ailleurs. Comment un homme pouvait-il mettre autant d'âme et d'amour dans une scène fictive et être si... dénué d'expression en vrai. Il ne l'était sûrement pas mais en tout cas, c'était ce qu'il montrait. Du moins à elle. Car il l'avait vu avec Penny et le Hayden qu'elle avait face à elle... n'avait rien à voir. Quand Shannon parlait de s'impliquer, elle entendait surtout s'impliquer dans les activités de la ville. Ca n'incluait pas nécessairement des efforts. Simplement de se trouver quelque chose sur quoi se reposer. Mais c'était sans compter sur la remarque de Hayden. Shannon fronça les sourcils sans comprendre, presque piquée au vif. C'est à la limite de l'agression qu'elle lui répondit, le toisant de haut en bas comme s'il n'était pas autorisé à la juger. Elle n'en avait pas fait autant pour lui. Elle donna un coup de tête qui fit rebondir ses boucles. Hayden avait piqué la curiosité de la journaliste.

– Qu'est-ce que tu veux dire ?

Nuire à sa côte de popularité ? Quel genre se donnait-elle ? Selon elle, elle ne se donnait pas de genre, elle était comme ça, c'est tout. Mais Peter lui avait sorti quelque chose de similaire quelques mois plus tôt. Et dans un sens... Peter n'était pas très différent de Hayden, en dehors de l'histoire de la famille. Shannon avait fait ses devoirs et elle avait donc un peu fouillé dans l'histoire de la famille des Walsh. Plus que triste, c'était surtout curieux. Elle avait suivi les dossiers d'un oeil, presque comme si elle attendait le bon moment pour avoir un scoop. Elle n'avait pas des recherches comme si c'était une obsession mais elle s'était renseignée, plusieurs années plus tôt, par simple curiosité. Alors elle connaissait un peu ce que les journaux en disaient. La mort de sa mère, le départ de son père... Elle n'avait pas tout compris mais elle n'était jamais allée demander des explications à Hayden. Ca ne suffisait pas pour un article de fond, en fait. C'était étrange mais à l'époque, ça n'aurait pas fait la première page ni dans le journal, ni à la télé locale.

– Tu veux dire que faire ces répétitions avec toi... Ca peut nuire à ma popularité ? Je pourrais en dire autant.

Et elle porta sa bouteille à ses lèvres en regardant ailleurs. Ils étaient peut-être plus nombreux à l'apprécier que l'inverse donc elle n'avait pas trop peur pour elle.

Hayden se contenta de hausse les épaules un sourire amusé aux lèvres. Voir Shannon prendre la mouche pour si peu lui rappelait Isis. Penny, elle, ne prenait pas ce genre de chose au sérieux. Et puis de toute manière il ne trouvait pas vraiment que ses propos aient de quoi la vexer. Il n’avait fait qu’une simple constatation. D’extérieur, il la trouvait froide, intéressé et hautaine. Des adjectifs qu’on lui avait également déjà attribué et qui sommes toute, était assez infondé. Enfin de compte, elle avait des manières qui pouvait passer pour déplacer et c’est ce qui, selon lui, la faisait passer pour ce qu’elle n’était pas forcement, une snobinarde arriviste.

- Rien de plus que ce que je viens de dire !

Souriant toujours, il posa sa bouteille avant de faire un volt face à la remarque de la jeune femme. L’air faussement vexé, il tendit un doigt accusateur dans sa direction.

- Héééé ! Ca ce n’est pas ce que j’ai dit ! Non mais !

Plaquant les mains sur ses hanches, il la toisa de sa hauteur avant de sourire à nouveau.

- Je ne parlais pas des répétitions, mais de manières générales. Tu sembles assez régulièrement bien détestable. Pourtant, ce n’est pas aussi horrible qu’il n’y paraît !

Hayden avait parlé avec beaucoup de désinvolture. Il ne voulait pas vexer la jeune femme, ce n’était que la vérité selon lui. Il n’était pas la seule à avoir des préjugés sur Shannon. Harry avait de quoi faire également. Et puis le message de fond, c’était tout de même qu’il l’appréciait un peu finalement et ça, ca n’avait rien de vexant. Enfin, c’est ce qu’il espérait !

- Tu ne pourrais pas jouer Guenièvre aussi bien si tu étais vraiment quelqu’un comme ça. Après, ce n’est que mon avis personnel !

Shannon tourna la tête vers Hayden, curieuse. Voilà qu'il souriait et faisait de l'humour maintenant. Mais qui était ce jeune homme, finalement ? Il semblait porter un masque autant que la journaliste. Elle l'étudia un instant avant de hausser les épaules.

– Je ne suis pas détestable, c'est ce que les gens croient et je les laisse penser ce qu'ils veulent si ça les chante, voilà tout.

D'accord, ils étaient censés répéter et maintenant, voilà qu'il faisait dans la psychologie. Il faisait comme Peter, finalement. Il essayait de la dompter. Ce dont elle n'avait pas très envie. Shannon était indomptable, ce n'était pas non plus un animal sauvage. Elle avait des valeurs et des convictions, voilà tout. Et elle n'aimait pas trop qu'on pense qu'elle était plus gentille qu'elle ne semblait être. Car Shannon était un amour ! C'était simplement qu'elle ne mélangeait le privé et le professionnel. Elle avait un rôle à changer. Elle était une journaliste. Avant, elle faisait dans l'information mais elle aimait la mode, les gens et annoncer des mauvaises nouvelles à longueur de journée ? Ca avait commencé à la bouffer. Elle avait choisi quelque chose de plus calme, de plus paisible.

– J'ai fait du théâtre, Hayden, je sais comment on joue sur scène. C'est un rôle, rien de plus.

Elle inspira profondément et se retourna vers lui franchement en croisant les bras.

– Il faut être quelqu'un comment pour jouer Guenièvre, Monsieur Je sais Tout ? Tu sais... On n'est pas obligés de s'apprécier pour ça, je ne t'en voudrais pas si tout ça restait... Strictement professionnel.

Hayden toisa Shannon en haussant un sourcil perplexe. Voilà qu’il se faisait rabrouer à présent. La journaliste semblait assez versatile mais surtout bien peu encline à en révéler trop sur elle-même et sur ses pensées plus ou moins personnelles. Haussant simplement les épaules il retourna s’installer sous son arbre, le dos bien droit contre le tronc, la tête rejetée en arrière et les yeux à demi fermé.

- Que veux tu que je te dise ? Tu sembles assez encline à contre dire mes propos ! Je parlais juste comme ça. Tu semblais prise dans le rôle voilà tout. Qualitativement c’est appréciable.

Fermant complètement les yeux, il se demanda un instant s’il pourrait un jour troquer sa place contre celle d’un lancelot. Prendre dans ses bras la femme qui était celle de vie et être sûr que cela ne changerait jamais. Les propos de son père lui remontèrent alors à l’esprit. Sans savoir vraiment pourquoi, un léger sourire se dessina sur son visage. Tout finirait sans doute par s’arranger finalement. Parce que certaines choses étaient immuables malgré tout. Baissant la tête un instant, il chercha le regard de Shannon, un sourire pensif sur le visage.

- Qu’est ce qui te fait peur Shannon ?

Il ne se moquait pas d’elle, bien loin de la, mais la journaliste se comportait de manière bien étrange et cela l’intriguait beaucoup. Quand ils avaient joué leurs rôles, elle avait perdu pied un instant, elle avait été troublé. Pas par lui, il aurait pu le jurer, mais par la scène en elle-même sans doute. Quelque chose l’avait touché et Hayden aurait aimé savoir de quoi ils ‘agissait. Ne baissant pas les yeux, il croisa les bras sur ses genoux, comme s’il était prêt à attendre le temps qu’il faudrait pour obtenir une réponse satisfaisante.

"Qualitativement, c'est appréciable" Shannon cligna des yeux pour encaisser ce... Compliment ? Peut-être était-elle trop raide et peut-être pensait-elle trop à mal de ce groupe d'habitants qui semblait lui faire de la résistance. Elle n'en détestait aucun, elle déplorait surtout leur petitesse d'esprit. Trait que Hayden ne semblait pas posséder. Elle pinça les lèvres en réfléchissant, agitant doucement sa bouteille entre ses doigts. Puis elle la reposa dans son sac et vint vers lui, ses cheveux dansant dans ses mouvements un peu rigides. Elle avait dû faire beaucoup de danse pour être si droite ! Ou alors avoir été élevée au corset.

– De rien !

C'était vrai. Shannon n'avait peur de rien. Elle leva le menton mais ne s'abaissa pas à le rejoindre dans l'herbe. Elle aurait pu salir son pantalon !

– Je suis toujours comme ça, c'est ma façon de jouer ! Guenièvre était une incomprise, considérée comme une infidèle alors qu'elle n'a fait que suivre son coeur ! Dans un monde intéressé, elle a préféré suivre une autre voie. C'est une leçon à retenir et je ne veux pas la prendre à la légère, voilà tout ! Elle a eu cette folie, cette... hérésie comme on le disait dans le temps, de suivre ce que son coeur lui disait. Malgré tout, elle est restée auprès de son roi jusqu'à la fin ! Car elle possède aussi un grand sens du devoir. Elle s'est sacrifiée, elle et son amour. Romeo et Juliette n'avaient qu'à bien se tenir, Guenièvre n'a manqué à aucun devoir. Ni au sien avec Lancelot, ni envers son roi et époux. Elle n'a comme peine que de n'avoir pas pu vivre la vie de ses rêves, c'est tout. C'est d'ailleurs un sujet particulièrement d'actualité !

Elle croisa les bras et tourna la tête de l'autre côté pour observer Hayden, à ses pieds. Non pas qu'elle le dominait mais hors interview, une question la taraudait. Elle plissa les paupières, pinçant les lèvres et inspira finalement.

– Est-ce que tu l'aimes ?

Shannon finit par s’installer prêt de lui. Pas assise dans l’herbe, mais très droite, debout à coté de l’arbre. Ce qu’elle lui dit alors le fit sourire mais il s’abstint sur le moment de tout commentaire. La journaliste n’avait pas tord bien sûr, mais s’était comme s’il y avait un écho de Guenièvre quelque part au fond d’elle. C’était une femme louable en soit, qui avait prit ses responsabilité avant ses désirs personnels. Caris avait été quelques peu négligente sur cette qualité de la reine. La dépeignant plutôt comme une niaise insouciante. Hayden non plus n’était pas d’accord avec cela. Il allait commenter ses propos quand elle lui posa une question qui le prit totalement au dépourvu. Perplexe, il étudia un instant Shannon, comme pour être sûr qu’elle était bien sérieuse. Manifestement cela ne faisait aucun doute. Hayden n’avait jamais était bavard concernant sa vie sentimental, entre autre parce que cette vie n’existait pas jusqu’à l’apparition de Penny. Que pouvait-il bien répondre à cela ? En fait, c’était une question assez légitime et il se demanda un instant pourquoi Penny ne la lui avait jamais posé. Sans doute parce qu’elle avait peur d’une réponse qui ne soit pas à la hauteur de ses espérances. Ou bien peut-être parce qu’elle-même n’avait pas encore répondu à cette question. Il aurait pu contourner la question sans doute, mais ce n’était pas son genre. Jusqu’à présent, il avait toujours été honnête avec Shannon, il n’avait pas vraiment envie de changer de comportement. Soupirant, il se passa une main dans les cheveux, un sourire au coin des lèvres, un peu gêné sans doute.

- Comme Lancelot aime Guenièvre ? C’est un idéal à atteindre mais je ne sais pas si j’en suis capable.

Relevant la tête vers Shannon, il croisa son regard, une drôle de lueur au fond des yeux.

- Je l’apprécie beaucoup et j’aime être avec elle. Mais ce n’est pas un coup de foudre, juste la vraie vie…

C’était comme s’il y avait un peu de déception en lui finalement. Il n’avait jamais rien attendu de personne, jamais attendu qu’on lui tende la main. Aujourd’hui que Penny était là, il se rendait compte qu’il avait tout acquis très vite, un peu trop peut-être et si sa vie le satisfaisait, elle lui semblait pourtant… Hayden ne savait pas quels mots mettre au bout de sa pensée. C’était vraiment très confus. L’aimait-il vraiment ? Il n’aurait pas su le dire…

- Et toi… Est-ce que tu l’aimes ?

Une lueur malicieuse au fond des yeux, Hayden invitait Shannon à la confidence sans pour autant lui demander de détail. Mais pour une question aussi personnelle, il avait bien le droit de lui rendre l’ascenseur non ?

Shannon sembla désarçonnée par cette réponse. Elle recula la tête, comme frappée elle-même par sa propre déception, se rendant compte qu'elle-même était déçue. Quoi, c'était tout ? Pas le coup de foudre, juste la vraie vie ? Pourquoi semblait-il si résigné ? Il paraissait si joyeux et plein de vie chaque fois qu'elle le croisait aux côtés de Penny alors pourquoi un tel changement ? Non, plutôt, pourquoi si peu de sensibilité sur le ton de la confidence ? Elle se serait attendue à tellement de choses en cet instant qu'elle resta interdite. Soudain, elle se demanda si Harry penserait pareil. Elle avait longtemps imaginé que Penny était le genre du jeune flic. Finalement, non, il était sûrement trop sage, en réalité. Mais alors, c'était quoi son genre à lui ? Depuis qu'il vivait seul, il aurait eu l'occasion de faire des rencontres, non ? Non ? C'était si étrange qu'elle gardait toujours un oeil sur lui, par curiosité. Un peu par voyeurisme, aussi. Un homme de son âge, tout de même... Peut-être y avait-il quelque chose d'autre. Alors quand Hayden lui posa sa propre question, elle était encore à moitié dans ses pensées. Elle fronça les sourcils.

– Harry ? Non... Bien sûr, que non. Pourquoi cette question ?

Puis, en regardant Hayden, elle se rendit compte de ce qu'elle venait de dire. Elle devint rouge vif et se raidit en pinçant les lèvres.

– Oh, tu parles de Penny ? Et bien... Je ne la connais pas très bien mais elle a l'air d'une charmante fille, oui.

Shannon sourit en portant une mèche derrière son oreille et regardant ailleurs, ses doigts glissant dans son cou. Mais la question de Hayden lui revenait, curieusement. Le temps qu'elle fasse le lien, elle se figea.

– Oh.

Est-ce qu'elle aimait Peter ? C'était ça la question ? Alors celle-ci était bien bonne, comme question. Elle n'en avait pas plus la réponse que Penny n'avait la sienne. C'était étrange d'ailleurs mais à bien y repenser, Shannon n'avait jamais été amoureuse. Elle haussa finalement les épaules.

– Non.

Pourtant... Quand Peter était accompagné, c'était de Shannon. Quand Shannon apparaissait en public, en dehors du travail, c'était à son bras. Peter était bien vu, famille aisée et la journaliste, quant à elle brillait autant par sa beauté que par sa popularité, égale à son impopularité.

– Pourquoi cette question ?

Hayden s’esclaffa lorsque Shannon lui répondit presque du tac au tac. La jeune femme avait dû être troublée par quelque chose pour répondre de manière aussi directe, enchaîner sur Penny et lui retourner sa question de manière assez rapide. La journaliste c’était embrouillée toute seule et le rouge lui était monté aux joues aussi sec. Ouvrant les mains devant lui comme pour calmer les révélations de la jeune femme, il lui répondit dans un sourire sans aucune moquerie.

- Et bien et bien ! Je ne t’en demandais pas tant !

Harry ? Tiens donc ! Shannon apparaissait souvent en compagnie de Peter mais manifestement se n’était pas lui le centre de son attention. Quel séducteur ce Harry finalement ! La journaliste pouvait bien se défendre de ce qu’elle venait de dire, ca n’en était pas moins un beau lapsus révélateur de ses sentiments. Tout du moins de l’intérêt manifeste qu’elle semblait lui porter.

- Je ne sais pas à quoi ou à qui tu pensais, mais cela avait l’air bien intéressant ! Harry hein ?

Il la regardait avec un brin de malice au fond du regard. Décidément, Shannon le surprenait de plus en plus.

- Moi, je n’ai posé la question que parce que tu as fais de même ! Je n’avais aucune curiosité mal placée ! Mais maintenant que tu as lancé le sujet… Qu’est ce que tu lui trouve à ce don juan ? C’est vrai qu’en fin de compte, il a plus la carrure du chevalier servant que moi, je veux bien l’admettre !

Hayden laissa échapper un rire taquin alors qu’il ne lâchait plus Shannon des yeux. Elle lui faisait un peu penser à ce qu’aurait pu être Isis en d’autres circonstances. Finalement, Shannon était une fille qui lui plaisait bien, au sens amicale du terme évidemment !

- C’est moi qui t’ai troublé pour que tu perdes ainsi le fil de tes pensées ?

Un sourire à faire trembler les pubs de dentifrices et une œillade quelque peu aguicheuse juste après, Hayden ne pouvait pas mentir, il s’amusait plutôt bien !

– Ne te flatte pas, Hayden. Tu ne troubles rien du tout.

Elle avait souri. Un très léger sourire amusé et elle avait agité un index vers lui en haussant les sourcils pour le mettre en garde. Non, il ne l'avait pas troublée, elle s'était simplement perdue dans ses pensées à trop réfléchir. Elle observa Hayden et sa curiosité un instant avant de sourire un peu plus.

– Je ne lui trouve rien. Il m'intrigue, c'est différent. Je me demande comment un homme pareil peut rester seul aussi longtemps. Je me demandais aussi... Si ce n'était pas moi, la raison de son éloignement de Peter. Pas que ça m'intéresse ou que ça me fasse quelque chose mais si c'est le cas, je trouve ça bien dommage de laisser une femme se mettre au coeur d'une amitié qu'on dit si ancienne que ce n'est pas un ami, c'est un frère. Mais il semblait qu'à présent...

Il étudia Hayden de haut en bas. Elle avait ce regard quelque peu... inquisiteur. Mais il n'en était presque rien, il s'agissait surtout de l'observation, de la curiosité et peut-être un peu de taquinerie aussi.

– En fait, il semblerait que tu sois le nouveau Peter de Harry. Il passe plus de temps avec toi qu'avec n'importe quel autre personne dans cette ville. Il y a bien cette détective fortement désagréable, et puis cette... Andrea qui lui a tourné autour pendant un moment. Mais je crois que Harry a plus confiance dans les hommes que dans les femmes. Je me demande si c'est symptomatique de quelque chose. Voyez-vous ça...

Shannon sourit un peu plus.

– Hayden Walsh, celui que tout le monde pensait connaître, se voit acoquiné de la jeune et jolie fille de ferme à la situation difficile et du paria de service transformé ou un homme dont les accès de colères sont à craindre car ils causent des émeutes. C'est que ça commence à faire beaucoup pour celui que tout le monde croyait insensible et peu enclin à s'attacher à qui que ce soit... En moins d'un an, te voilà parachuté sur le devant de la scène... En voilà une métamorphose, comment le vis-tu ?

Mwouai… A d’autres ! D’un autre côté, il n’était expert ni en femme ni en relations sérieuse donc pour ce qu’il en savait ! Son père n’avait jamais était là pour lui enseigner les rudiments de la compréhension féminine et il avait vue plus de femmes dans son lit que dans sa vie courante, le résumé était donc un peu maigre. Mais quoi qu’elle puisse bien en dire, il n’était pas convaincu ! Témoignant son mécontentement par une moue dubitative, il finit par soupirer d’une voix faussement lasse. Elle n’aimait pas Harry pour qu’il avait cependant un certain intérêt, elle n’aimait pas Peter avec qui pourtant elle s’était acoquiner, mais qui aimait-elle alors?
Quand son discours dévia sur ses propres relations avec Harry, Hayden eu un sourire amusé. Décidément entre ce que les gens interprétaient et la vérité pure, le gouffre était assez impressionnant. Le nouveau Peter de Harry ? Genre Tic et Tac ? Qu’on puisse l’assimiler à une relation d’amitié aussi intime le fit sourire, mais cette fois ci avec ironie et un peu de mauvaise fois. Il ne fallait tout de même pas trop en rajouter. Il allait rétorquer quelque chose mais Shannon n’en avait pas terminé avec lui, l’enchainant ensuite comme la journaliste people qu’elle était, la jeune femme lui faisait probablement son interview de l’année.
Se redressant soudain comme pour se donner un peu d’importance, il toussota pour s’éclaircir la voix avant de prendre un ton de conséquence, la voix un peu traînante comme certaine star dépassée complètement par leur célébrité.

- Et biiiieeeeen… Les choses ne sont pas aussi évidentes qu’il n’y paraît très cheer ! Mon ami le paria est avant tout un camarade basketteur, buveur occasionnel de quelques trinquages ponctuels lors de victoires méritées… Quand à cette charmante Penny ! Charmante n’est ce pas ? Elle a tout ce qu’il faut pour satisfaire un homme, rien de plus à déclaaarer.

Un sourire étrange sur le visage, Hayden se reposa contre l’arbre tout en fermant les yeux un instant comme pour reprendre quelques forces. Ouvrant un œil, il chercha le regard de Shannon avant de poursuivre à demi-mots.

- Il ne faut pas croire tout ce que l’on voit et tout ce qui se dit…

Croisant les bras contre son torse, il referma les yeux, un sourire amusé sur le visage.

- Dans la vie, tout est donnant donnant… si tu veux de quoi alimenter un article et connaître les petits secrets d’Hayden Walsh le sociopathe bourgeois il va falloir passer à la casserole ma petite dame !

Shannon pouffa de rire à son petit numéro. Qui l'eut cru, il était aussi drôle ! Shannon secoua la tête et prit son sac pour revenir vers lui. Elle en sortit sa bouteille et tapota son sac pour finalement s'asseoir dessus. Il ne fallait pas rêver, elle tenait à ce que ses vêtements soient vraiment impeccables ! Ouvrant sa bouteille, elle la porta à ses lèvres en regardant son compagnon de jeu.

– Il n'est pas question d'écrire un article, j'ai plus intéressants que les déboires d'un groupe d'adolescents de la ville. Tu as beau être intriguant, comme ton petit copain, vous demeurez assez insignifiants pour ne pas m'avoir sur le dos.

Elle lui fit un clin d'oeil en plissant le nez et bu une gorgée avant de refermer la bouteille et de la poser par terre. Elle enveloppa ses genoux dans ses mains et haussa une épaule.

– Tu sais, il m'arrive plus fréquemment d'être curieuse des gens, simplement parce que je suis juste... Curieuse. C'est tout. Une commère si tu préfères. Je ne passe pas ma vie, contrairement à ce que les gens pensent, à observer les autres en cherchant le scoop. Sauf si tu as un grand secret à révéler, dans ce cas, en tant que Guenièvre officielle, je veux la primeur. Tu sais, certains journalistes paieraient pour avoir des informations sur toi. Peut-être pas ici mais si tu étais quelqu'un d'assez connu à Londres, tu aurais régulièrement des coups de fil. Les gens n'aiment pas les secrets... Personnellement, je les adore.

Elle aimait surtout qu'on lui révèle pour être au centre de la révélation. On lui faisait assez confiance pour lui révéler quelque chose, c'était honorable.