La journée s’annonçait mal, très mal. Une convocation. Après tout, il y a des gens qui devaient penser qu’il n’avait que ça à faire de sa journée, aller au poste de police, parler de ce qui s’était passé, encore et encore. Ah, non, il oubliait, entre-temps fallait éviter les journalistes qui étaient à la recherche du scoop de l’année. Un dernier point qui s’était, heureusement, un peu calmé avec le temps. Bien sûr, il avait appelé pour demander à annuler ce rendez-vous ridicule en prétextant avoir déjà dit ce qu’il savait. Devinez quoi ? On ne dit pas non à une convocation. Réglementation pourrie, selon lui !

Avec toute la mauvaise volonté du monde, il s’était douché, habillé et avait quitté l’appartement pour aller vers sa voiture. Sa veste fut balancée à l’arrière, n’aimant pas conduire avec et il s’installa pour prendre la direction du poste. Il se demanda, avant de prendre un virage, si en se prenant un mur pour finir à l’hôpital, il serait dispensé de cet interrogatoire. Parce que tout valait forcément mieux que de s’y rendre… peut-être pas tout, il n’avait pas envie de risquer de perdre l’usage de ses jambes, ou autres, juste pour ne pas répondre à quelques questions.

Jack se gara sur les places réservées au personnel, en prenant soin d’en prendre deux rien que pour lui. Si ça faisait chier quelques personnes, il aurait au moins cette satisfaction-là. Il reprit sa veste en sortant, l’enfila par-dessus son t-shirt avant de rentrer par la porte principale. Le passage à l’accueil fut vite expédié, pas un bonjour, pas un sourire, que dalle, juste sa convocation qui fut posée avec un certain agacement sur le comptoir. Ca suffisait largement à expliquer pourquoi il était là. Ses baskets, dont le jean retombait dessus, trainaient sur le sol quand on demanda de le suivre pour s’installer dans un bureau.

Il soupira, se laissa tomber sur la chaise qu’il avait un peu reculée afin pour opter pour une posture un peu désinvolte. A moitié avachi sur sa chaise, il avait une jambe tendue, le talon posé sur le sol, pendant que son autre jambe était pliée, la cheville en appuie sur le genou de sa jambe tendue. Ca l’emmerdait d’être là et, si tout le monde pouvait le comprendre ça l’arrangeait. Pas de raison que ce soit le seul à passer une mauvaise journée. La porte s’ouvrit, il ne se tourna même pas. Un homme passa dans son champ de vision qu’il ne connaissait pas. Hu Hu Hu… Attention, homme armé en vue… Mon dieu, il était en panique totale là (notons l’ironie de cette phrase) ! Et voilà, c’était parti pour les présentations qui n’allaient que dans un sens, forcément, le flic avait au moins l’avantage d’avoir un dossier sur la personne interrogée. Et après, on parle de justice. Bravo, les gars !

A peine commencé qu’il avait déjà envie de se barrer… Ok, il avait déjà eu envie de se barrer au moment même où il avait eu sa convocation. Il se mit à soupirer, sans bouger de sa position, juste ses mains s’animèrent un peu pour se soulever dans un geste d’impuissance, comme s’il ne pouvait rien pour ce type… Euh, comment déjà ? Ah oui… Sergent Foster.

« Si je réponds que j’y étais pas, je peux rentrer chez moi ? » Ouais… Non… Ca ne ferait pas crédible. Pas la peine d’attendre une réponse à cette question, il reprit rapidement. « Oui j’y étais, cela dit je ne suis pas convaincue que les raisons qui m’ont poussé à être la bas vous regardent et, pour ce que j’ai vu… »

Combien même il aurait voulu l’aider – ce qui n’était pas le cas, évidemment – il ne savait pas ce qu’il devait répondre parce que, même pour lui, c’était du pur délire. Genre, une hallucination collective, un truc comme ça. Quelqu’un avait peut-être foutu un truc dans l’eau de la ville et, piouff, des gens se mettaient à croire qu’ils en avaient d’autres disparaitre.

« Il y avait des gens, des touristes puis… bin, j’sais pas, vous connaissez l’histoire, non ? Après, il n’y avait plus personne. »

En gros, c’était ça, non ?

David fixait son témoin du regard. Il le sentait pas ce témoin. Il avait été très vague lors de  son premier interrogatoire (d'après le rapport qu'Harry en avait fait). Et là, David avait l'impression qu'il se foutait de lui. En fait, tout dans l'attitude de Jack dénotait ce qu'il pensait : il n'avait pas envie d'être là, il n'avait pas non plus envie de coopérer et ça, ça ne plaisait pas à David. Il était payé pour retrouver les disparus. Il était persuadé que chacun dans cette ville se sentait concerné par leur sort et ferait son possible pour les retrouver, même quasiment un an après leur disparition. Mais ça ne semblait pas le cas de Jack. La preuve en était la première réplique qu'il avait sortie, avant de se reprendre.

David fronça les sourcils et s'assit sur le bureau, face à son témoin. 

- Oui, je sais tout ça, dans les grandes lignes. En fait, je voudrais savoir si vous n'avez rien remarqué d'étranges, si vous n'avez pas, quelque part dans votre mémoire, un détail qui pourrait enfin nous faire avancer.

Il se pencha vers lui.

- Vous savez que ça presque un an que ces gens ont disparus ? Un an que leurs amis et familles s'inquiètent, se désespère. Certains les croient même morts. Un an et toujours rien, pas le moindre indice. Pire, le gouvernement semble essayer d'étouffer l'affaire. Il y a quelque chose de pas nettes derrière tout ça. 

Il se redressa et reprit la parole.

- Donc vous avez vu les touristes. Qui avez-vous vu d'autres sur les lieux ? Quelqu'un qui ait pu avoir un comportement bizarre ? Par exemple, qui prenait les touristes en photos au lieu de prendre les ruines de l'abbaye. Ou qui se tenait à l'écart du groupe semblant observer la situation. Ou quelqu'un qui téléphonait peut-être ? Et pour le reste, je ne vous ai pas demandé les raisons qui vous ont poussé à vous trouver là, mais ce que vous y faisiez. Peut-être étiez vous en train de prendre des photos, ou de filmer quelque chose. Comprenez que si c'était le cas, cela pourrait nous servir.

David soupira. Bizarrement, il sentait que Jack n'avait pas la moindre intention de se casser la tête pour apporter une réponse sincère et satisfaisante.

Jack leva les yeux au ciel, fit mine de réfléchir – ce qui n’était clairement pas une réalité – et finalement, il haussa les épaules en secouant la tête. Non, il n’avait rien qui lui permettrait d’avancer plus dans ses recherches. De toute façon, combien même il dirait qu’il voyait des trucs, qu’il n’était pas vraiment normal depuis toute cette histoire, il ne voyait pas en quoi ça pouvait aider qui que ce soit dans cette enquête. De toute façon, Jack estimait qu’il devait bien y avoir d’autres témoins pour parler de ce genre de chose, non ?

On pouvait lui parler sentiment, de difficulté pour les familles, Jack s’en foutait. Tout ce qu’il voyait c’était sa tranquillité bien à lui, bien qu’elle commençait à être mise à rude épreuve avec leurs interrogatoires à la mords-moi-l ’nœud. Cela dit, il restait quand même assez intrigué par le fait que le gouvernement cherchait à étouffer l’affaire et se demandait ce qu’ils pouvaient savoir là-bas. Peut-être qu’ils avaient les réponses aux questions qu’il se posait lui. Comme ses visions bordéliques qu’il serait ravi de filer au premier venu. Une fois de plus Jack secoua la tête dans une moue faussement désolée.

« J’étais en train de répondre au message de quelqu’un alors, franchement, j’avais bien autre chose à foutre que de regarder les gens autour de moi. Enfin, j’sais pas, des touristes dans le coin, on en a toujours eu. Si avant les évènements on devait regarder chacun d’entre eux, où regarder si quelqu’un à l’air suspect, on aurait tous passé notre vie à faire ça. »

Ce jour-là, il avait réellement autre chose à foutre que de chercher à détailler les personnes autour de lui. C’était juste une journée normale avant que tout le monde disparaisse, il n’avait pas eu l’impression de quelque chose en particulier. De toute façon ce n’est pas comme si Jack se souciait assez des gens pour s’intéresser à eux sans les connaitre. Il avait fini par relever les mains.

« Mais on parle de touristes, y en a bien un qui devait prendre des photos à ce moment-là. Ils passent leur vie à prendre des photos. Je ne sais pas, vous n’avez pas les appareils des gens ? »

Il y avait bien des affaires qui étaient resté sur place non ? Pourquoi pas un appareil ou deux. Pff, qu’est-ce qu’il en savait lui, hormis le fait que tous indices étaient le bienvenu à partir du moment où on le laissait en dehors de cette histoire. Se penchant légèrement en avant, posant les deux pieds sur le sol, adoptant l’attitude que le flic avait eue un peu plus tôt, il faisait clairement comprendre que ce n’était pas son problème. Attitude qui fut agrémentée de paroles.

« Peut-être qu’il serait temps pour ses familles d’admettre qu’ils sont effectivement mort, ou qu’on ne les retrouvera jamais. » Il alla retrouver le dossier de sa chaise dans sa position initiale en haussant les épaules. « Y a un moment où faut se rendre à l’évidence, non ? »

Ça allait faire un an, y a que dans les séries qu’on revoit les gens apparaitre miraculeusement du jour au lendemain sans la moindre explication. Finalement, plutôt que de s’acharner à trouver des réponses, il était peut-être préférable de passer à autre chose et de tourner la page.

David écoutait ce que Jack avait à lui dire d'une oreille attentive. Les déclarations de cet homme, le fait qu'il n'ait rien vu, ça pouvait sembler normal. Après tout, à moins d'être flic, on ne prête généralement pas attention aux détails si on ne sait pas que quelque chose risque d'arriver. Mais l'attitude du témoin lui posait problème. Jack était décontracté, trop, presque je m'en foutiste. Et ça, ça ne lui plaisait pas. Etait-il en train de cacher des éléments ? Ou est-ce qu'il ne s'en foutait pas tout simplement, de toute cette histoire.

Face à cette attitude clairement non coopérative, David fronça les sourcils et finit par lever les yeux au ciel. En voilà un qui ne semblait pas vouloir l'aider. Pourquoi ? Bonne question. Et David commençait à sérieusement s'en poser des questions. Et si Jack avait quelque chose à voir avec tout ça. Après tout, il était sur place, il adoptait une attitude parfaitement détachée face à tout cette affaire, ne semblait pas s'intéresser plus que ça au sort des disparus. Oui David était peut-être un poil parano. Mais c'était son boulot de voir des suspects partout. Il avait appris que bien souvent, le coupable n'est pas celui qu'on croit.

- C'est ce que vous feriez vous ? Si un membre de votre famille avait disparu sans laisser la moindre trace ? Vous vous feriez à l'idée qu'il est mort ?

Il planta son regard dans celui de Jack, un regard sans aucune émotion, juste perçant.

- Vous savez ce qu'on dit ? Tant qu'on n'a pas les cadavres, ces gens sont encore présumés en vie et on les recherche.

Et là, il se mit à réfléchir, toujours à moitié assis sur son bureau, les bras croisés. Comment faire en sorte que Jack coopère ? Bon il était peut-être sincère, le problème que son attitude ne l'aidait pas. David avait déjà testé la corde sensible, il avait en face de lui un bloc de glace. Il lui restait cependant une autre carte, qu'il ne sortait pas souvent et qui jusqu'à présent ne lui avait jamais fait défaut - les gens ont peur des problèmes. Mais il hésitait encore à s'en servir. Et puis finalement il se lança.

- Monsieur O'Flaherty, j'ai envie de vous croire. Mais votre attitude me fait sérieusement douter que vous ne savez rien de plus. Vous savez quoi ? J'ai l'impression que vous n'avez pas envie d'être là. Qui aurait envie ? Et que par conséquent, vous avez décidé que vous ne vous casseriez pas la tête à réfléchir vraiment à ce que s'est passé ce jour-là.

Il se redressa et passa derrière son bureau.

- Vous avez déjà entendu parler d'obstruction à la justice ? Ca concerne toute personne qui, pour une raison ou pour une autre, ferait un faux-témoignage, ou refuserait de témoigner, ou bien cacherait des détails à la police, susceptibles de les faire avancer dans l'enquête ou pas. Ca va chercher dans les...

Il fit mine de réfléchir, alla jusqu'à la porte de son bureau et l'ouvrit.

- Hey, Spencer, l'entrave à l'exercice de la justice, ça va chercher dans les combien ?

Une voix à l'autre bout de l'hôtel de police lui répondit :

- Ca dépend. Faux témoignage c'est 5 ans de prison, refus de témoigner, ça peut aller jusqu'à... 4000€ d'amende, quelque chose comme ça. Et peut-être un peu de prison aussi. [*]

David referma la porte et revint vers Jack.

- Il est fort probable que je me trompe, que vous n'avez réellement rien de plus à me donner. Mais je me permets de vous rappeler que, comme tout citoyen de sa Majesté la Reine, vous êtes soumis à l'obligation de témoigner. Je sais, c'est pas cool, vous n'avez pas demandé à être sur place. Mais c'est comme ça. Comprenez aussi que moi, je dois faire mon boulot. Je suis là pour trouver des coupables, les vrais, et votre attitude est franchement suspecte.

Et voilà, la carte était jouée. Il n'était pas sûr que Jack finisse par coopérer de peur d'avoir des problèmes avec la justice ensuite. Mais il fallait comprendre deux choses avec David : la première, il ne menaçait pas les gens, il se contentait de leur faire remarquer qu'ils étaient parfois en contradiction avec la loi. Et la deuxième c'est que justement, cette loi, il la respectait à la lettre, et il ne balançait jamais de bombes comme celles là sans leur donner suite. 



[HJ : *bon j'avoue, j'ai légèrement brodé le truc, et je suis pas certaine que ce délit existe en UK]

A aucun moment Jack n’imagina que son attitude pouvait entrainer le flic à se poser des questions sur une quelconque implication dans ce qui s’était passé. La réflexion était logique en soi mais, Jack, qui estimait ne rien avoir à se reprocher ne fonctionnait pas avec cette logique. Il n’y était pour rien alors, bêtement, il ne pouvait même pas penser être soupçonné de quoi que ce soit. Hors de ce genre de réflexion, oui, Jack continua sur sa lancée en hochant la tête positivement pour dire que c’est ce qu’il aurait fait. Corps ou pas corps, les probabilités de retrouver quelqu’un, des mois et des mois plus tard, étaient bien trop faibles pour être envisageable. Et il estimait son hochement de tête assez explicite pour ne pas avoir à en faire la confirmation de manière orale. Le flic, face à lui, pouvait le regarder comme il le voulait, de face, de biais, en levant les yeux au ciel que ça ne changerait à ce qu’il pensait à ce sujet.

Le sergent Foster avait repris avec son laïus sur l’envie de le croire mais son attitude, blablabla et blablabla. Jack, le plus naturel du monde leva légèrement les mains l’air de dire : Enfin, vous comprenez, j’en ai rien à carrer. Au moins, peut-être que comme ça, ils allaient pouvoir en finir plus rapidement et que lui pourrait rentrer chez lui, finir sa nuit et se préparer pour son service qui commençait bien plus tard. N’importe où était mieux qu’ici de toute façon. Il regarda le sergent se déplacer quand un mot tomba.

« Obstruction ?! » Jack s’était décollé du dossier de sa chaise, ses pieds retrouvèrent le sol « Sérieusement ? »

Il avait les yeux grands ouverts comme si on venait de lui sortir la plus grosse connerie du monde. Une blague, ce n’était qu’une blague. Enfin, c’était forcément ça, non ? Merde, il avait l’air sérieux, surtout que l’arrivée d’un autre confirma ce fait. Si Jack n’aimait pas les flics, il avait quand même une tendance à croire très fort en leur capacité à faire chier leur monde. 5 ans de prison à 4000 euros d’amende. Ok… définitivement, il était en train de nager en plein délire. Puis aucun moyen de savoir si c’était vrai ou pas, il n’avait pas fait d’études dans la justice. Est-ce qu’il a déjà été signifié que Jack s’était levé avec cette impression que sa journée serait pourrie ? Parce que là, ça se confirmait !

Et v’là qu’on parlait de la reine. IR-LAN-DAIS, il en faisait des confettis des timbres avec la reine tellement il s’en tapait ! Encore, il serait originaire de l’Irlande du Nord, qu’il aurait peut-être trouvé intéressant à citer la reine mais là… Sérieusement ! Jack passa les mains sur son visage en soupirant, parce qu’il avait raison sur un point : originaire d’Irlande ou pas, il était un citoyen anglais. Pourquoi ça sonnait comme une insulte pour lui ?

« Une attitude suspecte, vous vous foutez de moi là ? Vous croyez quoi, qu’avec mes deux petites mains j’ai juste enlevé, je ne sais pas combien de personnes en même temps, à la vue d’autres témoins et après ? Je les ai cachés dans une cave ou j’attends le bon moment pour les ressortir ? Le seul truc dont je suis coupable c’est d’avoir été là-bas à ce moment précis. Et franchement, entre nous, j’échange ma place quand vous voulez. »

Et il était sérieux parce qu’il voulait bien retrouver sa vie d’avant, tranquille, à son rythme et refiler ses visions, ses machins et ses trucs à qui le voulait. Et pendant qu’il y était, il échangeait aussi ses interrogatoires, les journalistes et tous ceux qui commençaient doucement à le gonfler avec leur : Hannn mais tu y étais ?! Cool. Il ne savait pas ce qui était arrivé aux disparus mais, à coup sûr, ils devaient être bien plus tranquilles que lui. Il y a des fois où il en venait à se dire qu’il aurait dû être dans les disparus… d’ailleurs, il se demandait comment des gens avaient pu disparaitre pendant que d’autres étaient restés.

« Franchement, j’ai de plus à vous donner. De toute façon, je ne serais pas expliquer pourquoi mais sur le coup j’étais plus nauséeux qu’autre chose alors, me focaliser sur les petits détails… »

Les gens étaient là, puis ils n’étaient plus là… vraiment, rien à dire de plus sur ce moment précis. Il avait sûrement un tas de choses à dire sur les conséquences de cette journée mais comptait bien s’abstenir de le faire.

Le hochement de tête de Jack avait été parfaitement compris par David. Et là, le sergent de police avait pu confirmer le premier soupçon qu'il avait émis sur son témoin : c'était un vrai glaçon, parfaitement insensible. Un cœur de pierre quoi. 

Et là, la dernière carte lancée par David sembla avoir l'effet escompté. David dissimula un léger sourire en coin - mais très léger, pas distinguable du tout. Son témoin commençait à comprendre qu'il avait tout intérêt à répondre sérieusement à ses questions. Enfin l'interrogatoire allait pouvoir mener à quelque chose. Son témoin commençait à avoir peur, c'était une bonne chose. 

- Attendez, comprenons nous bien. Au point où j'en suis dans l'enquête, chaque personne présente sur les lieux et encore là est suspecte. Ce sont les réponses que vous me donnerez par la suite qui me permettront de vous effacer de cette liste. Il en va de même pour l'obstruction. Il est dans votre intérêt de répondre avec le plus de précision et de sérieux possible. Vous n'avez pas envie de témoigner, je le conçois, vous regrettez d'avoir été sur les lieux, je comprends. Mais comme je vous l'ai dit, vous y étiez, dommage pour vous. Et maintenant vous avez l'obligation de nous aider dans notre enquête. Aussi, permettez moi de vous donner un conseil. Montrez-vous coopératif et vous ressortirez d'ici rapidement et avec un peu de chance, on ne viendra plus vous embêter. Parce que c'est ce que vous voulez non ? Qu'on vous laisse tranquille ? Alors coopérez.

Bon, David avait fait son petit laïus, il était content de lui. Et puis Jack prononça ces paroles, les premières qui semblaient parfaitement sincères et réfléchies. Probablement l'effet de la carte "obstruction à la justice". Il attrapa son bloc et nota quelques mots dont "nauséeux". Les personnes qu'il avait vu la veille s'étaient plaintes aussi de ce symptôme. Il inscrivit également "quelque chose dans l'air ?" Peut-être pour neutraliser les éventuels témoins, faire en sorte qu'ils se concentrent sur leur nausée pour éviter qu'il remarque d'éventuels mouvements. Cette information ne pourrait malheureusement pas être vérifiée. Pas un an après. 

- Bien, j'ai encore une autre question. Il semblerait que, depuis les disparitions, certaines personnes ressentent comme... des effets secondaires. 

Il attrapa son bloc-notes, tourna quelques pages.

- Une femme a fait une sorte de crise d'épilepsie après avoir eu vu un objet inexistant. Certains ont des problèmes d'insomnies. Il y a eu aussi ce truc de la soirée d'Halloween. Est-ce également votre cas ? Je pense que tout ceci est lié aux disparitions, c'est quelque chose à étudier de plus près.

David était prêt à suivre la moindre piste, à dépouiller le moindre détail, la moindre petite chose qui pourrait sembler insignifiante. Il ne voulait rien laisser au hasard.

Devoir s’enlever d’une liste de suspects, c’était le monde à l’envers. Non mais sérieusement, c’était du grand n’importe quoi, du délire complet. Il avait tellement l’impression d’halluciné qu’il en secouait la tête, passant une main sur sa nuque dans un soupir. N’importe quoi ! Le pire dans tout ça c’est que Jack ne savait pas ce qu’il pouvait lui dire de plus. Il pouvait bien inventer des détails, juste pour lui faire plaisir, qu’on lui lâche la grappe mais, là encore, quand on comprendrait qu’il a inventé des trucs, ça finirait par lui retomber dessus.

Le sergent, que Jack ne pouvait pas encadrer juste parce qu’il était flic, prenait des notes et quand il reprit la parole… Bordel, Jack se trouvait bien con d’avoir parlé si vite d’un état nauséeux, amenant directement à des questions qu’il ne voulait pas entendre. Effets secondaires. Deux mots. Deux tous petits mots, qui raisonnaient horriblement dans le cerveau du serveur. Foster regardait dans un petit calepin, Jack savait déjà ce qu’il allait entendre. Ce n’était pas la première fois qu’on lui posait la question, pas la première fois qu’on lui disait que d’autres personnes avaient des visions ou des choses étranges. Les mots changeaient, le fond était le même. Il y avait quelque chose de bizarre depuis les évènements.

« Qui n’aurait pas de problème d’insomnie ? » Jack se mit à sourire légèrement, tellement ça lui semblait être une évidence, un sourire un peu nerveux toutefois même s’il cherchait à le cacher. Mais il était face à un flic à qui ça n’échapperait surement pas. « J’veux dire, j’ai vu des personnes disparaitre en moins de temps qu’il ne faut pour le dire ce qui est techniquement impossible. Alors, ouais, ça arrive que je dorme mal parce que je ne sais pas ce qui s’est passé et que ça reste un poil flippant. »

Ce qui n’était pas un mensonge, il oubliait juste certains détails, comme le fait de voir des trucs qui semblent venir d’un autre temps ou des choses qui vont arriver. Quoique, pour ce dernier point, il n’en était pas encore certain, trop récent pour émettre la moindre théorie. Alors, on pouvait voir ça comme de l’obstruction mais, là, il en était au stade où il se disait qu’il valait mieux ça que de finir en rat de laboratoire pour savoir ce qui pouvait se passer.

« Pour le soir d’Halloween, je n’ai aucune idée de ce qui s’est passé. C’était juste la folie ce soir-là. »

Et là, il n’avait vraiment aucune idée de ce qui avait pu se passer. Posant les yeux sur le bureau il se mit à réfléchir à un tas de choses et, surtout, au fait que lui-même avait besoin de réponse. Aider le sergent était probablement une façon de s’aider lui-même, d’y voir plus clair. Sauf qu’il ne pouvait pas parler en son nom, comme Foster l’avait dit, la seule chose qu’il voulait c’était qu’on le laisse tranquille. Il relava les yeux vers l’homme.

« Écoutez, la seule chose que je sais ce sont des rumeurs qui tournent. Apparemment, il y aurait des gens qui peuvent voir certaines choses, le Tor mais de manière différente. » Il balança les mains en s’appuyant contre son dossier. « Maintenant de là à croire ses rumeurs, enfin ça semble un peu fou et les gens ont de fâcheuses tendances à spéculer et inventer des choses un peu hallucinantes. »

Sauf que c’était bien réel, il était bien placé pour le savoir. Il ne pouvait juste pas le dire et, ce n’était pas inconcevable qu’il puisse avoir entendu ce genre de rumeur, après tout, il bossait à l’Irish. Un grand nombre de personnes y allaient et on entendait parfois un tas de choses en réservant des verres ou en prenant une commande.

David pouvait être fier de lui. Il n'était pas sûr que son témoin se livre totalement à lui, mais il se montrait beaucoup plus coopératif. Cette dernière carte pouvait vraiment faire des miracles.

Il fixait Jack tandis qu'il parlait de ses insomnies. Il cherchait sur son visage, dans son regard, le moindre signe qui aurait pu trahir ses vraies pensées. Mais il ne vit rien d'autre qu'un peu de nervosité. Cela ne voulait pas forcément dire qu'il mentait. Mais il avait l'impression qu'il ne disait pas tout. Il décida cependant que ce n'était pas la peine de le braquer plus. S'il n'arrivait plus à en tirer quelque chose maintenant, après l'avoir bien effrayé avec sa présomption d'obstruction, mieux valait ne pas insister. Peut-être qu'en laissant le temps passer, il finirait par s'ouvrir plus. Après tout, Jack n'était encore accusé de rien, pas officiellement en tous cas.  

Et puis il se mit à parler du Tor, des gens qui avaient des visions du Tor, mais d'un Tor différent. Il le nota dans son carnet. Il n'était pas arrivé depuis assez longtemps pour entendre les rumeurs, mais il avait lu quelque chose là dessus dans le dossier d'Harry. Est-ce que quelqu'un avait vérifié cette histoire de Tor ? 

- Il est possible, en effet, que ceux qui ont dit avoir vu ce Tor se soient concertés pour dire tous la même chose. Ce n'est peut-être qu'une sorte de coup monté. Mais il faut que je vérifie. 

Au même moment, son téléphone sonna.

- Foster.

Il resta silencieux quelques instants.

- Ok, j'arrive tout de suite.

Il raccrocha et se tourna vers Jack.

- Bien, c'est tout ce que j'avais à vous demander pour l'instant. Merci pour votre coopération. 

Il ouvrit la porte de son bureau à l'intention de Jack, puis revint vers sa chaise, attrapa sa veste et sortit derrière son témoin.

Ce qui le rendait si pressé tout à coup ? Le bus des disparus venait de réapparaitre.


[HJ, ça te gène pas si on s'arrête là ? j'ai plus trop d'idées pour continuer l'interrogatoire pour l'instant. ]

Jack leva les mains, se voulant convaincant pour dire que, oui, c’était sûrement un coup monté. Mais, il n’était pas aussi convaincant que ce qu’il aurait voulu parce qu’il savait de sources sûres que ça n’avait rien à avoir avec une psychose générale. Ou alors, on l’avait hypnotisé, un truc dans le genre, pour que lui aussi puisse voir ce Tor différent. Le pire dans tout ça, c’est que cette possibilité lui semblait bien plus probable qu’un truc que personne ne comprenait. Obligé, c’était un truc que quelqu’un avait foutu dans l’eau ou dans la bouffe, hallucination collective. Ou un gaz qui s’était échappé le jour des disparitions, n’importe quoi lui suffirait.

Le téléphone qui venait de sonner venait de lui donner un répit jusqu’à ce que Foster lui dise que c’était tout. Quoi, sérieusement ? Jack le regardait sans comprendre mais, ce n’est pas lui qui allait le retenir. Jack haussa les épaules et se leva pour aller prendre la porte qui était grande ouverte pour lui. Et Jack étant Jack, il trouva le moyen de se retourner vers Foster, de lui sourire son plus beau commercial avant d’ajouter :

« Un véritable plaisir, on recommence quand vous voulez. »

Sur quoi il sortit de la pièce, perdit son sourire aux deux premiers pas qu’il avait fait dans le couloir et trouva sans mal la porte de la sortie. Très vite, il fut dans sa voiture, tout aussi vite il se barra de ce parking pour retourner chez lui. Presque un an qu’il cachait ce qu’il pouvait, qu’il essayait de vivre avec ses visions qu’il ne comprenait pas, qu’il essayait de retrouver un semblant de tranquillité. Et là, tout commençait à basculer d’une manière qu’il n’aimait pas du tout. Ce qui l’énervait le plus, en fait, c’est qu’il commençait aussi à se poser de sérieuses questions et qu’il allait devoir trouver un moyen d’y répondre. Ce qui, de toute évidence, ne se ferait pas s’il continuait à se terrer dans son silence

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