L’élue semblait mal à l’aise. Je l’avais vue à plusieurs reprises franchir les portes de la maison de la guérison, mais je n’étais encore jamais allé lui parler. Ce n’était pas dans ma nature et de toute manière je n’étais pas vraiment sûr que cela soit bien vu par Caillean. Cette dernière la couvait plus qu’une louve et nous autres n’avions pas le droit d’approcher. De plus, les moissons occupaient la plupart de mon temps et j’étais bien d’avantage affecté aux champs plutôt qu’à mon travail de guérisseur. Si je ne me plaignais pas, je trouvais cela vraiment incommodant. J’étais peut-être bâti pour les tâches rudes, mais je préférais d’avantage m’intéresser sur le monde et les soins plutôt que sur les coupes de foins et de blés. Aussi, maintenant que j’étais là, seul avec cette jeune femme, ma curiosité l’emportait sur mon effacement habituel. Ouvrant les mains devant moi en signe d’apaisement et d’interrogation, je me demandais bien pourquoi elle était aussi sèche.

- Nous ne parlons pas de ces choses là. Je ne suis pas encore vraiment guérisseur. Je continue d’apprendre également.

Je ne voulais pas l’importuner ou lui laissais croire que je m’assimilais à elle. Cela aurait était faux d’ailleurs et bien présomptueux de ma part. Je ne la connaissais pas et le monde d’où elle venait semblait posséder des mystères dont je ne pouvais pas imaginer l’étendu. Mais nous en étions au même point finalement, dans nos mondes respectifs.

- Les enfants à venir… C’est ça votre spécialisation ?

J’avais entendu beaucoup de choses sur le dos des Elus depuis qu’ils étaient arrivés parmi nous. Certains en avait peur, d’autres les adoraient, si je restais contemplatif pour le moment, c’est que je n’avais pas assez de vécu avec eux pour me faire ma propre opinion. Mais les ragots allé bon train et Caillean avait déjà conduis Madeline auprès d’Alanna lorsque cette dernière avait eu quelques fragilité suite à sa grossesse. Pour le reste je n’en savais pas plus, car je ne m’étais pas vraiment intéressé à la chose. Je n’étais pas un accoucheur et encore moins une femme, ce n’étais pas à moi de soigner notre dame.

- Tu as été auprès de notre Dame il y a quelques temps. Caillean ne fait pas ce genre de chose à la légère.

J’avais beaucoup de respect pour elle, même si parfois elle ne ma laissait pas agir à ma guise. Gagner sa confiance et lui prouver mes qualités ne serait pas facile, mais j’y tenais, parce que cela me rendait utile à tous et parce que j’avais trouvé là une source inépuisable de connaissance.

- Ici, il n’y a pas vraiment de spécialisation en quoique ce soit. Les délivrances sont l’affaire des accoucheuses. Je suis plutôt aux soins des tracas quotidien pour le moment.

Une manière édulcorée de ne pas dire qu’on me laissait à soigner que les échardes et les fatigues passagères…  

[Attention, ici en Avalon, c'est Madeline, pas Andrea. Mais c'est pas grave, t'es pas le seul à avoir fait la confusion ^^]

Madeline se détendit un peu. Balan était calme, apaisant, dans ses gestes et dans sa voix. Elle avait appris à se méfier de tout le monde sur cette île et réagissait au quart de tour. La seule qui avait réussi à endormir sa méfiance jusqu'à présent, c'était Caillean. Madeline refusait de l'admettre mais finalement, elle l'appréciait. Caillean et elle avait des points communs qui ne pouvaient pas être mis de côté, et c'était la seule qui pour l'instant ne lui avait pas mis cette espèce de pression "vous êtes les élus, vous êtes là pour nous sauver". Et Balan semblait fait du même bois. Aussi, lorsqu'elle lui répondit, sa voix était plus posée, plus calme, moins suspicieuse.

- Non, des enfants qui sont déjà là. Dans notre monde ce sont deux métiers différents, le gynécologue pour les enfants à naitre et le pédiatre une fois qu'ils sont nés. Moi je veux être pédiatre.

Lorsqu'il évoqua la Dame du Lac et le fait qu'elle ait été présente à ses côtés lorsqu'elle avait eu son malaise, Madeline eut l'impression qu'il associait cela à une certaine compétence de sa part. Habituellement, elle ne contredisait pas ceux qui la surestimait. Mais là, les mots sortirent d'eux-mêmes, pour remettre les choses dans le bon sens.

- En fait, c'est le hasard qui a fait les choses. J'étais déjà chez Alanna quand elle a eu son malaise. Et je n'ai pas été d'une grande aide.

Elle soupira et se laissa aller contre le dossier de sa chaise.

- J'étais complètement dépassée par ce que faisait Caillean. Dans notre monde, on n'a pas du tout la même façon de réagir dans ce genre de situation, on n'a pas la même façon de soigner les gens. Et comme chaque personne soigne des choses différentes, au final on ne sait pas tout soigner. 

Elle leva les mains signe d'impuissance. Elle se rappelait très bien ce jour-là, ce que Caillean lui avait demandé de faire. Cela lui avait semblé tellement aberrant qu'elle avait bien failli empêcher Caillean d'exercer son art.

Madeline sembla se détendre finalement et j’appréciais cela. Il régnait une tension constante sur Avalon depuis que les Elus étaient arrivés. Beaucoup de monde était à cran et j’avais l’impression parfois que l’air en devenait presque orageux. Ici, cela ne devait pas exister. Pour la simple et bonne raison que si nous ne parvenions pas à être de sang froid et de grandes concentrations nous ne pouvions pas nous occuper convenablement des souffrants. Hors c’était avant tout notre priorité et la raison de l’existence même de la maison de la guérison. J’écoutais tout en silence, la laissant m’expliquer ce que je ne connaissais pas et éclaircirent les histoires que je n’avais entendu qu’à moitié. Elle prenait soin d’utiliser un vocabulaire que je puisse comprendre et je lui en étais reconnaissant. Parfois, les Elus pouvaient être maladroit en nous assénant des paroles dont le sens ne pouvait que nous échapper. Madeline était très explicite au contraire. J’approuvais ses dernières paroles avec un petit hochement de tête. Si je ne pouvais qu’imaginer ce que pouvait être leur monde, je comprenais parfaitement bien ce qu’elle avait du ressentir. Notre époque n’était pas la leur, notre façon de vivre n’était pas la leur, mais Madeline parlait sans mépriser ce qu’elle avait vue. La jeune femme avait simplement était surprise par nos différences. J’appréciais cela car s’était un signe d’intelligence et d’ouverture d’esprit. Je lui souris simplement.

- Je comprends mieux alors. Le hasard fait peut-être bien les choses finalement. Tu as croisé la route de Caillean et elle a pu te montrer ce que nous faisions.

Je réfléchis un instant avant de poursuivre intrigué.

- Nous ne sommes pas très nombreux ici. Alors j’ai un peu de mal à concevoir la taille de vos communautés. Pour qu’il y ait des guérisseurs spécialisé dans un seul domaine, il doit vraiment y avoir beaucoup de monde à soigner. Et vous devez posséder un savoir beaucoup plus grand que le notre ! J’avoue que je suis un peu jaloux !

Je ne parlais jamais beaucoup en temps ordinaire. J’étais taciturne sans être acariâtre, mais l’Elue m’intéressait vraiment beaucoup. Parce qu’il y avait en elle, des choses que je ne pourrais connaitre de personnes d’autres. Alors pour la peine, je voulais bien être un peu plus loquace que d’ordinaire et pourquoi ne pas faire un peu d’humour ! Je n’étais pas un ours comme Kieran après tout !

- Les enfants alors ? La santé des enfants est toujours très fragile. Quand le climat est rude en hiver et qu’ils tombent malade, nous n’arrivons pas toujours à les soigner. Nos onguents et nos plantent médicinales ont des effets limités sommes toutes. La magie doit souvent venir soutenir nos efforts.

Je regardais un instant Madeline avant de poursuivre d’une voix calme et apaisante, comme à mon habitude.

- Je me dis parfois que nous nous reposons trop sur elle. Car si nous étions confrontés à des choses que nous ne connaissons pas. Peut-être qu’elle ne suffirait pas. Et alors nos connaissances insuffisantes dans d’autres domaines nous empêcheraient de pouvoir sauver des vies. Ce serait vraiment du gâchis… Comment faites vous, vous qui n’avez pas de don magique pour soigner les gens ?

Ce reposer sur nos dons, quand bien même ils nous avaient été octroyés par la déesse elle-même, était une erreur selon moi. Mais cela ne se limitait pas simplement à la guérison mais dans tous les domaines. Nous nous limitions à ce que nous savions faire sans chercher jamais à faire plus ou moins que cela. Pouvions-nous améliorer notre vie ainsi ? Pouvions-nous croire que d’ici quelques années d’autres druides et d’autres prêtresses acquerraient de nouvelles connaissances ? Des choses auxquelles nous n’avions jamais pensé ? Ce n’était pas dans l’ordre des choses, ni dans notre mode de vie de songer à cela. Nous n’étions là que pour adorer nos dieux et continuer à assurer la pérennité du don. Rien de plus… Rien de moins…