12 novembre 2012, cimetière de LondresIl pleuvait sur Londres depuis le matin. La tombe ruisselait, mais cela n’avait pas empêché Andrea de s’asseoir sur le bord, comme à son habitude. Elle avait profité de son passage à Londres pour rendre visite à ses grands parents. Avant de partir à Glastonbury, elle s’y rendait chaque semaine, s’asseyait et leur racontait les dernières nouvelles.
Aujourd’hui, elle restait silencieuse. Non pas qu’elle n’avait rien à raconter, en fait il s’était passé tellement de choses à Glastonbury, mais elle n’avait pas le cœur à parler. Elle fixait les deux noms inscrits sur la pierre tombale : Caroline Milian-Barker (1938-2002), Donovan Milian (1936-2002).
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9 avril 2002 aux alentours de 10h40, dans une classe d’un lycée de Londres.- Pour la prochaine fois, vous allez me résoudre le problème suivant.
Le professeur prit une craie et commença à écrire au tableau : A = (2x – 3)² – (2x -3)(x-2).
- Vous commencerez par développer et réduire A….
Andrea attrapa son crayon de bois et commença à noter les consignes dans son cahier. C’est alors qu’on frappa à la porte et que celle-ci s’ouvrit sur le directeur, interrompant le professeur.
- Excusez-moi Willard, mais je souhaiterai parler à Mademoiselle Wilkes.
Andrea jeta un regard interrogateur à son professeur, puis au proviseur et se leva pour le suivre.
- Prenez vos affaires s’il vous plait.
Ça ce n’était pas bon signe. Quand le proviseur interrompait un cours pour demander à un élève de prendre ses affaires et de le suivre, en général, l’élève ne revenait pas en cours. Tandis que les autres élèves commençaient à discuter à voix basse, établissant toute sorte d’hypothèse, plus délirante les unes que les autres, Andrea rangea cahiers et trousse et sortit de la classe, son sac sur l’épaule.
Elle suivit le proviseur jusqu’à son bureau. Là, installé sur une chaise, complètement effondré se trouvait son grand-père. Une fraction de seconde lui suffit pour comprendre ce qu’il se passait. Ils avaient appris, plusieurs mois auparavant, que la grand-mère d’Andrea souffrait d’une tumeur au cerveau qui n’était pas soignable. Et depuis quelques semaines, la maladie avait évolué à un tel point que Caroline Milian ne sortait plus de son lit.
Le sac d’Andrea s’écrasa au sol tandis qu’elle réalisait qu’elle ne verrait plus sa grand-mère. Elle fixait son grand-père, les bras ballants. Et puis comme celui-ci se levait et ouvrait les bras, elle s’y jeta, ne parvenant pas à retenir ses larmes. Le directeur choisit ce moment précis pour s’éclipser et les laisser seuls dans son bureau.
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19 Juin 2002 aux alentours de 14h45, dans une classe d’un lycée de Londres.- Bon alors qui vient au tableau pour corriger l’exercice ? Mr Paddington ?
Le jeune homme en question se leva en maugréant et se dirigea vers le tableau ou figurait une expression arithmétique qu’il était censé résoudre. Tandis qu’il commençait l’exercice, on frappa à la porte et le directeur entra. Il posa sur Andrea un regard particulièrement désolé.
- Pardonnez moi Willard, mais je souhaiterai parler à mademoiselle Wilkes.
Puis, parlant directement à Andrea, il ajouta :
- Prenez vos affaires s’il vous plait.
Andrea hésita un instant, restant figée à sa place. Elle pressentait une mauvaise nouvelle. Elle avait encore en mémoire ce qui s’était passé 2 mois auparavant lorsqu’il l’avait appelée de la même manière. Elle ne voulait pas entendre ce qu’il avait à dire. Elle voulait qu’il referme la porte et qu’il la laisse là. Mais il ne refermait pas la porte.
- Mademoiselle Wilkes ! Le directeur vous attends !
Elle baissa la tête, se leva de sa chaise, attrapa son sac dans lequel elle avait glissé son cahier et sa trousse et suivit le directeur jusqu’à son bureau. Personne à l’intérieur cette fois. Était-ce bon signe ou le contraire ?
- Asseyez vous. Ce que j’ai à vous dire est… particulièrement difficile.
Le directeur marqua une hésitation et Andrea commença à avoir peur.
- Andrea, je suis désolé mais votre grand-père vient de trouver la mort dans un accident de voiture.
La jeune fille se leva brusquement de sa chaise. Non ce n’était pas possible, elle ne voulait pas le croire. Son grand-père ne pouvait pas l’avoir abandonnée elle aussi. Il savait qu’elle avait besoin de lui, qu’elle n’avait que lui. Il ne pouvait pas mourir. Non il était à la maison, il l’attendait.
Elle sortit en courant du bureau, puis du collège en courant toujours. Elle partit en direction de la maison, à une quinzaine de minutes de là. En chemin, son regard fut attiré par attroupement. Sur la chaussée, il y avait une voiture sur le toit et une autre, toujours sur les roues mais très amochée. Les secours s’activaient autour des blessés. Retenant son souffle, Andrea s’approcha. La voiture sur le toit, c’était celle de son grand-père. Et le corps sur la chaussée, celui autour duquel se trouvaient les pompiers, c’était celui de Donovan Milian.
- Grand-père !
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12 novembre 2012, cimetière de Londres.Andrea ne parvenait pas à retenir ses larmes tandis qu’elle se rappelait ces deux jours fatidiques, ces deux jours où sa vie s’était écroulée. Elle posa la main sur les noms qui étaient gravés dans le marbre.
- Vous me manquez.
Puis elle se releva, envoya un baiser en direction de la tombe et s’en alla.