Alanna se balançait dans sa chaise en bois favorite, les yeux plongés dans l'âtre sans feu noire de suie. On avait peu de temps pour nettoyer sa maison ces temps-ci. Elle l'aurait bien fait elle-même mais Caillean lui interdisait tout effort. Elle passait donc le plus clair de son temps allongée ou assise à filer la laine ou tisser en compagnie des prêtresses trop âgées pour prendre part aux moissons. Les jeunes enfants restaient sous leur surveillance, jouant dans les jardins comme de jeunes chiens. Dierna était parmi eux.  La petite fille cherchait chaque jour Shiban depuis Lugnasad, et adorait lui sauter sur le dos sans ménagement.

Ce soir-là, Alanna était seule. A trois mois de grossesse, son ventre commençait à se dessiner sous sa robe bleue de prêtresse. Pas encore vraiment proéminent, il affichait une petite rondeur significative néanmoins. Elle attendait donc les Elus qu'elle avait fait mander, aussi tranquillement que possible.

La fête de Lugnasad datait de 3 semaines environ. Depuis ce jour où elle s'était sentie mal en "captant" les battements de coeurs des autres personnes présentes, Madeline avait suivi ses leçons avec beaucoup d'attention. Elle venait voir Caillean toutes les semaines, passait du temps à écouter ses conseils, travaillait avec acharnement à fermer son esprit. Et tous ces efforts commençaient à payer. Madeline ne sentait plus la présence des autres dans son esprit. Elle était désormais seule, enfin.

Excepté quelques nuits, où elle se retrouvait à Glastonbury - elle reconnaissait la ville, ses rues, ses bâtiments. Ces rêves là, cette sensation de se trouver réellement à Glastonbury, elle n'arrivait pas à s'en détacher. Mais elle finissait par s'y faire. Après tout, cela n'arrivait que la nuit, c'était troublant, mais pas au point de l'empêcher de vivre sa vie.

Ce jour là, elle avait été mandée auprès de la Dame du Lac. Madeline se dirigeait donc vers la maison, se posant un tas de questions : Pourquoi Alanna voulait-elle la voir ? Allait-elle mieux pour la recevoir ainsi alors que sa grossesse la rendait jusqu'à présent inaccessible ? Allait-elle enfin prendre le temps de leur expliquer clairement comment ils avaient atterris sur cette île ? Pourquoi ils étaient là ? Comment et quand ils pourraient rentrer chez eux ?

Bref, toutes ces questions tournoyaient dans la tête de Madeline tandis qu'elle s'approchait de la maison d'Alanna. Elle frappa à la porte et entra. Alanna était installée dans un fauteuil à bascule devant la cheminée.

- Vous m'avez demandé ? dit Madeline tout simplement en refermant la porte derrière elle.

Elle n'avait pas dit bonjour, non, la politesse était à mille lieues de ses pensées pour l'instant.

J'avais passé trois jours à la maison de la guérison sous les soins de Balan. Voilà qui me changeait ! En plus, il était plutôt sympa. Pas très bavard et il avait cette ride entre les deux yeux, on aurait dit qu'il était tout le temps inquiet, mais il était sympa. J'avais même pu lui parler de ce que j'avais vu/cru voir dans le Temple. Je ne pensais pas vraiment que c'était possible, je me demandais même si je n'avais pas simplement rêvé mais Balan n'avait pas ri, il ne s'était même pas demandé de quoi je parlais. A dire vrai, en disant "Taliesin", j'avais carrément éveillé sa curiosité.

Et puis j'avais enfin pu rejoindre les autres une fois remis sur pieds. Quand je devais rester avec les autres enfants, j'avais toujours Dierna sur le dos. Pas qu'elle me dérangeait mais j'avais envie de voir et de vivre bien d'autres choses que rester là à rien faire pendant que les autres travaillaient. J'appréciais de passer du temps avec elle parce que j'avais toujours voulu une petite soeur ! Mais je n'aimais pas être traité comme un enfant, finalement. Pas plus ici qu'à la maison, à Glastonbury.

Cette histoire de Taliesin m'excitait et me rendait bien curieux mais... A mon réveil, j'avais ressenti l'envie de demander mon père sauf qu'il n'était pas là. Balan jouait un peu le rôle d'un grand frère mais c'était tellement bizarre tout ça... La nostalgie passée, j'ai décidé de ne pas y penser. Et quand on est venu me chercher pour aller retrouver Alanna, j'ai gaiment sautillé jusqu'à sa maison en chantonnant. Ce qu'elle me voulait, je crois que c'était pas dur de deviner que Balan avait parlé de moi. Elle allait probablement m'en dire plus !

J'étais arrivé avant Madeline et Isis. Mais les voir toutes les deux là, ça me rendait curieux. Isis, c'était sûrement à cause de notre intrusion du Temple, ce qui rendait la rencontre déjà nettement moins drôle. Mais pourquoi Madeline ? A présent, nous étions tous les trois face à Alanna pour comprendre pourquoi nous étions là. Et nous formions un sacré trio, n'est-ce pas ?

Alanna laissa entrer Madeline, Isis et Shiban à qui elle adressa un sourire plus appuyé puis désigna trois sièges près du sien et d'une petite table dressée apparemment à leur intention. Il y avait des verres et une cruche d'eau fraîche ainsi que de belles grappes de raisin rouge qui donnaient vraiment envie de mordre dedans.

"Merci d'être venus tous les trois."

Elle se redressa pour leur faire face plus solennellement mais sans se départir de son sourire tranquille.

"Je ne ferai pas durer le mystère. Vous êtes ici parce que vous êtes tous les trois dotés de ce que sur l'île nous nommons le don de Double-Vue. Je pense que vous en avez entendu parler durant les enseignements. Néanmoins je vais vous en dire plus."

Elle se leva et versa de l'eau dans les verres, puis s'empara de l'un d'eux pour tremper ses lèvres dans le liquide afin de se désaltérer.

"N'hésitez pas à vous servir, nous sommes ici entre nous et tout va bien"

Elle but une nouvelle gorgée puis déposa son verre de terre cuite à ses pieds.

"Le don de double-vue est une aptitude que certaines personnes ont de naissance. C'est un peu comme... Comme un excellent odorat ou un sens de l'observation aigu, comme lorsqu'on a le don de la musique ou celui du dessin. Seulement c'est plus rare et ça fait appel à un sens différent, inédit. Le don peut prendre de nombreuses formes : la prémonition, l'empathie, la projection de l'esprit... Et il semble que tous les trois possédez l'une de ces formes du don. Nous pensons donc que lorsque nous avons supplié la Déesse de nous aider à sauver notre île elle vous a fait venir vous justement parce que vous étiez très... spéciaux"

Elle déglutit, hésita puis poursuivit.

"Certains voudraient vous maintenir dans l'ignorance mais ce n'est pas le choix que j'ai pris. Le temps du changement est bientôt venu, je ne veux pas qu'il nous prenne au dépourvu. Notre île se meurt de vivre ainsi refermée sur elle-même depuis tant de générations. Nous étions condamnés à disparaître et avec nous la connaissance des arts anciens, la connaissance et l'éveil des dons. Dans votre monde dénué de magie, peut-être auriez vous passé votre vie entière sans savoir que vous portiez en vous un tel trésor. Vous auriez pu également devenir fou, car de nombreux fous sont des gens au don puissant incapables de le contrôler. Vous auriez pu devenir dépressif, ou bien insomniaque de craindre chaque nuit un cauchemar de plus, ou bien mal dans votre peau de vous sentir en constant décalage avec le monde qui vous entoure. C'est pourquoi notre rôle avant notre disparition était d'accueillir les jeunes gens spéciaux, comme vous, de les former, de leur permettre de contrôler leur don avant de leur permettre de faire ce choix : rester ou s'en aller."

Elle ouvrit les mains.

"J'ai Vu, et ce choix vous sera bientôt présenté"

Shiban était déjà là, dans un coin lorsque Madeline était entrée dans la maison de la Dame. La jeune femme ne l'avait pas vu au départ, mais lorsque son regard se posa sur lui, elle esquissa un sourire. Elle aimait bien Shiban. D'habitude elle n'aimait pas les enfants mais lui, il était intelligent pour son âge. Ils furent rapidement rejoins par Isis qui entra à son tour dans la maison.

La jeune femme s'avança et prit une des chaises qu'avait montré Alanna. Et la Dame du Lac se mit à parler. Et Madeline écouta avec attention. Elle apprit ainsi qu'elle n'était pas la seule à avoir un don. Et elle espérait qu'Alanna allait enfin leur donner une explication précise à ce sujet. Elle en avait bien parlé à Caillean, mais la guérisseuse était restée assez vague.

Lorsqu'Alanna s'interrompit pour les inviter à prendre un verre, Madeline leur jeta un regard presque méprisant, comme si c'était de leur faute si Alanna s'était arrêtée de parler. Comme si ça avait pu changer quoique ce soit. Mais heureusement, elle se remit à parler. Lorsqu'elle parla des différentes formes du don, Madeline hocha la tête au mot empathie. D'après Caillean, c'était de ce don là dont elle avait "hérité" bien malgré elle. Et puis Alanna commença à évoquer la raison de leur présence ici. Là ça devenait encore plus intéressant, surtout qu'elle leur dit vouloir tout leur dévoiler finalement. A partir de là, elle l'écouta attentivement. Et ne tarda pas à réagir au fur et à mesure des paroles d'Alanna. Oh elle ne disait rien, mais elle se redressait sur sa chaise, se tendait, fronçait les sourcils.

- Personnellement, j'étais très bien avant d'échouer ici. Je n'étais pas folle, je me sentais parfaitement bien dans ma peau. C'est depuis que je suis ici que je suis perturbée, que j'ai l'impression de devenir folle.

Elle sentait la colère qui montait petit à petit. Mais elle la retenait. Parce qu'Alanna venait de lui montrer les perspectives qui se proposaient à elle.

- Vous voulez dire que si nous apprenons à contrôler notre "don" alors nous pourrons choisir de rentrer ? Dans combien de temps on pourra faire ce choix ?

Alors j'ai écouté ce que Alanna avait à dire, non sans remarquer son regard appuyé sur moi, d'ailleurs. Ca voulait dire quoi ? La dame d'Avalon était toujours étrange avec moi, elle était si gentille et elle me donnait de beaux sourires. Elle devait bien m'aimer. Mais mon père disait que de toute façon, tout le monde m'aimait. Je sais pas pourquoi... Parce que j'aimais pas tout le monde, moi. J'ai écouté attentivement, en me demandant ce que tout ça voulait dire. Parce que je comprenais pas tout. Des dons... Qui ça, nous ? Moi ? Mais quels dons ! J'avais juste fait un rêve bizarre, je suis sûr que dans l'eau du Temple, y avait un truc pas net, voyez ? Mais bon, j'ai rien dit. J'ai attendu qu'Alanna ait fini avant de regarder Madeline, puis Isis plus longtemps. Je savais qu'elle voulait rentrer alors qu'est-ce que ça signifiait ? Une seule chose m'embêtait.

– Je comprends pas...

J'ai haussé les épaule.

– Si on a des dons, ça sert à quoi de nous faire venir pour qu'on reparte ensuite ? C'est pas logique. Et alors quoi, la Déesse, elle peut pas lire dans nos coeurs ? Je veux dire, elle devait savoir si on voulait rester ou non... Pourquoi nous faire venir alors ? Genre moi je veux rester, j'ai pas besoin de contrôler un don pour ça.

J'ai à nouveau haussé les épaules en regardant Isis encore brièvement. Je me sentais pas du tout perturbé, ici, bien au contraire. Je me sentais souvent comme un intrus, sauf avec Mary Ann. Les Elus voulaient tous rentrer... Sauf nous.

Alanna commença par les inviter à s’installer autour de la table dressé pour eux. Si Madeline s’exécuta aussitôt, Isis hésita un instant avant de l’imiter tout comme Shiban. Assis très droite sur sa chaise, la jeune femme avait le visage fermé et sans expression particulière. Ses craintes s’étaient confirmés, si Shiban était là c’était sans doute lié aux derniers événements. Mais quelque chose lui soufflait que ce serait sans doute bien plus que cela. Isis écouta le petit discours de la dame du lac presque religieusement. Aucune expression ne traversa ses yeux, aucune émotion. En vérité Isis se sentait presque vide à présent. Les mots passaient sur elle sans l’atteindre comme si elle les percevait d’un autre monde. Madeline semblait en colère et Shiban perplexe, quand ils parlèrent Isis mit quelques secondes à réaliser ce qu’ils venaient de dire. Toujours silencieuse, elle écoutait.

Alors c’était tout ? Ils mettaient le chaos dans leur vie pour ensuite leur dire qu’ils pouvaient bien faire ce qu’ils voulaient en fin de compte ? Cela ne servait donc plus à rien de lutter puisqu’ils finiraient par avoir le choix en fin de compte… Isis avait perdu le fil de la logique et avec lui tout le cheminement de ses pensées. Réalisant soudain qu’elle était la seule à ne pas avoir donnée son opinion sur la question Isis releva la tête, son regard d’azure croisant celui d’Alanna, ne sachant plus trop bien ce qu’elle devait penser d’elle. Finalement, la question qu’elle posa était sans doute à cent mille lieux de tout ce qu’elle aurait pu imaginer quelques heures plus tôt.

- La projection mentale ? C’est ce qu’il c’est passé sur le Tor ?

C’était plus une affirmation qu’une question mais elle aurait aimé l’entendre de la voix de la dame du lac. Au fond il y avait quelque chose de bien plus profond derrière, une peur bien plus viscérale. Et si la petite fille au fond d’elle était aussi une sorte de projection mentale ? Un simple jeu de l’esprit… Si elle pouvait disparaître comme ça d’un claquement de doigt, que resterait-il ? Finalement Isis finit par se retrancher dans ce qu’elle savait faire de mieux. Le visage grave et les yeux sombres, elle exprima son propre point de vue sur les choses.

- Je veux rentrer chez moi, ce n’est plus un secret pour personne ici. Mais tout ce que votre île à fait sur nous… Cela perdurera t-il ? Nous n’avons pas choisis le destin que vous nous avez imposé. Vous nous avez fait venir pour répondre à un désir égoïste de survie sans penser aux implications que cela engendrerait. Je veux rentrer chez moi et que tout soit comme avant. Vos dons je n’en ai rien à faire et si mon destin est de devenir folle chez moi alors il en sera ainsi. Mais ne vendez pas votre actions en nous faisans croire que c’est entre autre un acte charitable pour nous.

Isis croisa les bras sur sa poitrine avant d’enchainer.

- Avez-vous simplement songé à laisser les choses suivre leur cours ? Et si le désir de la déesse était simplement qu’Avalon ne finisse par s’éteindre et que chaque chose retrouve sa place dans son temps et dans son monde ? Et si c’était ça le véritable destin d’Avalon ?

Alanna ne fut pas très étonnée des réactions des trois jeunes gens face à elle. Que Madeline et Isis désirent rentrer n'étaient pas un secret, et que Shiban lui, se plaise dans la communauté non plus. Elle avait très naturellement éprouvé un sentiment particulier pour l'enfant, comme si elle l'avait connu sous une autre identité dans une autre vie. Car c'était la croyance première d'Avalon, chacun se réincarnait et vivait, vie après vie, un nouveau recommencement. Ainsi cette hargne de la vie présente était assez étrangère aux prêtresses, cette féroce rancune que ressentaient les Elus.

"Je vais tenter de répondre à vos questions comme je peux. Imaginez que demain une terrible guerre se déclare dans votre monde. Certains d'entre vous m'ont parlé d'armes très dangereuses qui seraient capable de détruire la vie et d'empoisonner l'air. Imaginons donc un instant que ces armes tombent entre des mains malhonnêtes et soient utilisées. Vous vous retrouvez isolés, dans un monde en ruine, aux ressources limitées, vous n'êtes plus qu'une poignée. Vous vous organisez, vous rebâtissez votre existence, vous avez des enfants. Pourtant de génération en génération, vous êtes de moins en moins nombreux. Vous apprenez dans cette situation de désespoir qu'il existe un autre monde, abondant, prospère, empli d'humains semblables à vous mais donc le mode de vie diffère totalement. A présent, dites moi en toute honnêteté : -et elle foudroya chacun d'un regard pénétrant - vous direz-vous qu'il ne faut pas perturber l'existence de ce monde inconnu et vous laisserez-vous mourir, ou tenterez-vous le tout pour le tout en contactant ce monde avec l'espoir de voir des sauveurs venir à vous ?"

La survie dépassait de loin toute considération sociale ou de bienséance. Si Alanna regrettait d'avoir arraché les Elus à leur vie et à leur famille ? Oui, elle aurait aimé faire autrement. Mais c'était un maigre sacrifice en échange de la survie de toute une culture, de connaissances et d'une sagesse séculaire.

"Je ne prétends pas connaître les plans de la Déesse, et je sais que vous doutez de son existence. Je sais que notre destin n'est pas de disparaître, car plusieurs possédant le Don l'ont prophétisé. Votre venue est pour nous un renouveau, parce que vous ouvrirez la voie. Nous n'avons jamais eu l'intention de vous enfermer ici jusqu'à la fin de vos jours. Seule une femme consentante, un homme en pleine possession de sa volonté peuvent prononcer les vœux qui les lieront à jamais à Avalon. C'est une règle que nous ne transgresserons pas. Je ne puis vous dire quand est ce que vous pourrez rentrer chez vous car les Visions ne sont que des bribes d'informations très difficiles à cerner. Le passage sera ouvert de l'extérieur, l'ancienne voie des Brumes connue et empruntée. Vous réapparaîtrez dans votre monde sur une barque comme le firent nos ancêtres et vous ouvrirez la voie."

Incrédule, les sourcils hauts, elle ouvrit les mains.

"Pourquoi nous désigner comme égoïstes alors que vous n'êtes pas plus altruistes que nous ? Vous nous reprochez d'avoir été enlevés à votre vie, au mépris de la survie du plus grand nombre. Vous vivez parmi nous depuis des mois, vous avez appris à nous connaître, nous vous livrons toute notre connaissance. Je n'attends pas de reconnaissance, mais je ne comprends pas que vous ne puissiez percevoir au delà de votre propre individu."

Elle passa une main sur son ventre arrondi. C'était ainsi, le choc de deux cultures, de deux façons de penser. Quelle serait leur destin, une fois les brumes refermées ?

"Je ne puis vous dire quel sera votre destin lorsque vous nous aurez quitté. Je pense qu'il est de votre ressort de le découvrir si cela vous semble nécessaire. Le seul conseil que je puis vous donner c'est de ne pas rejeter les dons qui vous ont été faits et de les travailler avec assiduité."

Elle inclina la tête.

"Ce n'est pas parce qu'on ne voit pas le vent qu'il n'existe pas. Ce n'est pas parce que certains jours la brise se fait absente qu'elle n'existe pas. Vos dons sont ainsi, enfouis au plus profond de vous-même depuis toujours en attente de se révéler. Vision -elle regarda Shiban- Projection -Isis- Emotion -et enfin Madeline- telle que le décrit l'ancienne sagesse"

Madeline haussa les épaules. La comparaison d'Alanna, elle était bien jolie mais pas vraiment logique. Ou du moins, elle ne répondait pas à la logique de Madeline.

- Non, pourquoi les faire venir pour sauver un monde totalement en ruine ? Si leur monde est prospère, autant aller dans leur monde. Parce que, s'ils peuvent survivre dans le nôtre, nous pouvons survivre dans le leur. Je ne vois pas l'intérêt de persister à sauver une ruine, quelque chose qui ne vaut pas le coup, parce que pardonnez moi, mais votre monde, tel que vous le décrivez dans votre "histoire", je ne peux pas l'imaginer autrement qu'un monde dévasté, malsain, et malheureux. Je préfèrerai partir plutôt que de crever dans un monde comme celui-là.

Madeline commençait à s'échauffer, ce n'était pas bon. A vrai dire, elle ne comprenait pas pourquoi Alanna l'avait fait venir. Si c'était pour entendre ça, autant partir. Mais la suite la laissa sans voix un moment. L'égoïsme, les deux camps faisaient preuve d'égoïsme dans cette histoire : Avalon, comme les Elus ne songeaient qu'à leur profit personnel. Avalon songeait à ce que les Elus leur apporteraient, les Elus se lamentaient de leur vie arrachée. Quand à l'individualisme...

- C'est justement parce que dans nos sociétés nous prenons en compte chaque individu que nous ne tombons pas dans une sorte de dictature ou de totalitarisme. C'est justement parce que penser société en premier nous a fait perpétrer des horreurs que nous prenons désormais en compte le bien de chaque individu. Vous ne connaissez pas notre histoire.

Mais Madeline la connaissait. Est-ce qu'elle en avait une bonne interprétation ? Bonne question, mais elle, elle le pensait justement. Et puis finalement, lorsqu'Alanna se tut complètement, Madeline se pencha en avant, les sourcils froncés, comme pour une confidence.

- Et dites moi, il se passera quoi si nous décidons tous de retourner chez nous ?

Elle savait que pour l'instant ce n'était pas le cas. Shiban venait justement d'affirmer vouloir rester. Mais ce n'était qu'un enfant, tôt ou tard, il se rendrait compte que son père lui manquait. Tôt ou tard il prendrait conscience du malheur que cela pourrait causer à son père s'il ne revenait jamais. Quand aux autres, elle n'en avait pas vu d'aussi déterminés que Shiban à rester. A part Mary-Ann peut-être.

J'avais tout juste 11 ans, cette île était tout ce dont j'avais rêvé, les prêtresses étaient trop canons et aux petits soins avec moi, les druides aussi et en plus je venais d'apprendre que j'avais un don de vision façon grand avenir, grand destin devant moi. Ce que j'en avais à ficher du reste ? [ (c) Isis ] J'étais au milieu de tout ça, sans pouvoir prendre de réel parti pris. Mon père m'avait bien élevé, je ne devais pas interrompre les adultes en train de parler, encore moins quand ils se disputaient. Madeline avait exprimé une colère et j'en avais vue une autre sur les traits d'Isis. Il me semblait difficile d'en déterminer une troisième sur le visage d'Alanna, cette femme était simplement l'âme parfaite, à mes yeux. Alors comment devais-je réagir ?

Je comprenais les inquiétudes, les angoisses, la volonté des gens comme Madeline, c'était tout à fait légitime. Et pourtant, Isis m'a ouvert les yeux sur quelque chose que je n'aurais jamais pu penser et qui, pourtant, était totalement vrai. Je voyais déjà des hordes de gens débarquer pour prendre d'assaut cette île merveilleuse aux habitants des plus magnifiques. Madeline y voyait le mal pour elle, Isis y voyait le mal pour eux. Moi... J'avais beau avoir un don de vision, paraît-il, je voyais rien.

Au lieu de ça, et bien... J'ai reculé d'un pas. Je refusais de prendre parti. Je ne voulais pas rentrer chez moi et je comprenais à peu près le dilemme qui se posait ici. Mais je refusais de dire quelque chose sans en comprendre la moitié. J'ai même reculé d'un autre pas et j'ai secoué la tête. J'étais pas chez moi ici et j'étais pas chez moi là-bas. Mais ça, personne pouvait le comprendre.

– Je vais... rentrer, moi. Vous laisser discuter de tout ça entre vous, ça me concerne pas.

Je fuyais ? Et alors, je pouvais faire quoi d'autre, d'après vous ? Je n'avais que 11 ans ! Sans parler du fait que j'avais une sainte horreur des conflits. Pourquoi croyez-vous que j'avais disparu avec les autres au lieu de rester à discuter de ma mère avec mon père ?

Mais Alanna n'avait pas l'intention de se disputer. Elle inclina la tête en direction de ses trois interlocuteurs et leva la main pour faire taire les commentaires.

"Je ne peux pas vous dire quand vous pourrez enfin rentrer. Je sais juste que vous serez prêts et si effectivement tout le monde décidait de nous quitter, nous ne chercherons pas à vous retenir contre votre volonté. D'autres viendront, vous deviez être les premiers"

Ce qu'Alanna avait vu par bribes grâce à son propre don, de plus en plus sensible à force que sa grossesse avançait, était des barques transportant des gens habillés à la mode des Elus lorsqu'ils furent trouvés dans les marais. Des hommes, des femmes, des jeunes gens... Guidés par des Elus et certaines de ses prêtresses. Mais l'avenir était trop insaisissable pour qu'elle ne prenne pas garde à ce qu'elle pouvait voir.

Alanna tourna la tête vers Shiban qui tentait de fuir et pencha la tête vers lui.

"Shiban, tout va bien. J'ai voulu que tu viennes parce que toi aussi tu vas partir."

Elle lui sourit doucement.

"Tes compagnes ont raison : tu as l'âge d'être apprenti et je sais que ton destin est lié à nous mais tu dois avant rejoindre ton monde"

Elle tendit la main vers lui, l'incitant à s'approcher.

"Viens mon enfant"

[Quand vous avez l'inspiration divine, ne la laissez pas passer...]

J'ai regardé sa main tendue. J'ai froncé les sourcils et j'ai relevé les yeux sur elle. A qui disait on "mon enfant" ? A son enfant, non ? Alors si j'étais son enfant, pourquoi voulait-elle que je parte ? Si j'avais un destin, si j'étais lié à eux, pourquoi devais-je partir ? J'ai senti les battements de mon coeur s'accélérer et j'ai senti que je commençais à m'énerver sans le sens où... Je paniquais. Doucement, j'ai commencé à secouer la tête. Ca faisait trop pour moi. Trop en trop peu de temps. Ma vie avait été paisible jusque là, je savais que tout irait bien, j'avais un père génial même si je me posais des questions ! Je voulais juste qu'il me trouve une maman, comme les copains, c'est tout ! Finalement, j'étais parti la chercher moi-même ma mère et aujourd'hui, on me renvoyait à lui ? Avec le destin de la mystérieuse Avalon en moi ? Qui pouvait seulement croire que je ne me battrais pas !

– Non !

J'ai continué de reculer, mon visage déformé par une expression que j'avais déjà donnée une fois à mon père, le jour où j'étais arrivé ici. Je sentais les larmes me monter aux yeux. Je me sentais aussi fatigué, éprouvé, en colère et empli de chagrin. Mes lèvres se sont tordues et ma voix s'est élevée.

– Ce sont pas mes compagnes et je suis ton enfant, pourquoi tu veux que je parte, toi aussi ? Quand je dis que je veux pas rentrer, je veux pas rentrer ! Ca suffit de prendre les décisions à ma place et de me cacher des trucs sans arrêt ! J'en ai marre ! Je veux plus qu'on me mente ! Je suis venu ici pour une raison et je partirai pas sans elle ! T'entends ? Je partirai pas sans elle !

Et j'ai ouvert la porte à la volée avant de m'enfuir en courant. Depuis le premier jour, j'avais l'intime conviction que j'étais ici parce que ma mère l'était. Que d'une façon ou d'une autre, tout était lié parce que je croyais pas aux coïncidences. Le jour où j'apprends la vérité sur ma mère, je disparais dans un monde que tout le monde croyait perdu ? Comme elle, j'avais disparu, à présent. mon père devait s'inquiéter, je le savais mais je m'en moquais à cet instant. Je voulais trouver ma mère, rentrer à la maison et convaincre mon père de revenir ici pour vivre heureux tous les trois. Ca, c'était mon utopie.

Lorsque Madeline eut fini de parler, Isis prit le relai. Et Madeline ouvrit grands ses oreilles pour entendre les arguments de son alliée. Et elle était très impressionnée. Isis avait des arguments autrement plus lors que les siens. Là où elle avait choisi de démontrer les effets sur les élus et leur liberté de choix, Isis démontrait le mal que toute cette histoire pouvait apporter à l'île d'Avalon elle-même. En somme, Isis touchait au coeur du problème. Alanna voulait à tout prix sauvegarder Avalon ? En persistant, elle l'emmenait tout droit à sa perte.

Elle était persuadée que cette fois, Alanna devrait se rendre à la raison. Mais au moment où elle commençait à voir la victoire se profiler, Shiban se leva. Et pour une fois, il n'eut rien des très intelligent à répondre. Pour une fois, il se conduisait en vrai petit garçon qu'il était. Madeline avait tendance à oublier qu'il n'avait que 11 ans. Elle posa sur lui un regard adouci. Le pauvre Shiban se trouvait au coeur d'une histoire qui le dépassait. Qu'il laisse faire les grandes personnes, ce n'était pas une mauvaise idée. Elle reporta son attention sur Alanna pour enchainer avec d'autres arguments lorsque celle-ci prit la parole.

Cette femme pouvait-elle est aussi froide ? Ses paroles douchèrent Madeline qui eut la sensation que, même si Alanna les autorisait à partir, c'était elle qui avait gagné la bataille. Mais toute cette histoire ne collait pas. Ce n'était pas logique !

- Pourquoi vous êtes-vous donné autant  de mal pour nous faire venir si vous êtes prête à nous laisser partir en sachant qu'on ne fera probablement rien pour vous ? Où est votre intérêt ?

Parce qu'il y en avait forcément hein. Alanna n'était pas assez bête pour faire des choses qui ne servaient à rien...

Et puis Alanna s'adressa à Shiban. Et celui-ci réagit violemment. Il semblait vraiment vouloir rester. Madeline ne comprenait pas pourquoi. Sans compter que les paroles de Shiban étaient assez mystérieuses... " Je ne partirai pas sans elle"... qu'est-ce qu'il avait voulu dire par là ? Shiban semblait attendre quelque chose de cette île. Mais quoi ?

D'un coup, elle se leva et sortit de la pièce à la suite de Shiban.

- Shiban, attends !

Elle le rattrapa - pour une fille, elle courait assez vite.

- Personne ne t'obligera à faire ce que tu ne veux pas. Si nous partons, nous ne t'obligerons pas à venir avec nous. Mais explique moi, pourquoi tu veux absolument rester ici Shiban ? Ton père ne te manque pas ? Et tes copains ? Bon c'est sûr que c'est chouette ici. C'est beau, les gens sont gentils avec toi. Mais tu n'as pas peur de t'ennuyer au bout d'un moment ? Pas de télé, pas de jeux vidéo, pas d'ordinateur, même pas de livres...

[HJ : C'est, je pense, une bonne idée de vous laisser continuer et discuter de ce que vous venez d'apprendre, je clos donc mon intervention mais je vous invite à poursuivre le rp !]

Shiban et Madeline avait quitté la maison d’Alanna si vite qu’Isis n’avait même pas eu le temps de réagir. Qu’est ce que cela aurais changé de toute façon ? La dame du lac semblait buter sur ses idées et ne souhaitait rien voir d’autre. Grand bien lui en fasse, cela ne la concernait plus à présent. Mais là façon dont elle la regardait maintenant, une main posée sur son ventre et l’assurance d’avoir ce recul et cette autorité naturelle qui la mettait au-dessus de toute chose, lui donnait envie de vomir. Quelles étaient les véritables objectifs de cette femme ? Toute cette histoire ne pouvait pas simplement s’arrêter à ce choix : Rester ou partir… C’était complètement absurde. Cependant il n’était plus l’heure de discuter. Alanna semblait fermer sur ses propres intentions.

La situation la mettait mal à l’aise et elle aurait volontiers suivis Madeline et Shiban pour laisser la dame du lac seule avec ses délires. Pourtant, une question demeurait vraiment au fond de son cœur, une question qui lui permettrait sans doute de répondre à deux ou trois interrogations. Manœuvrait-elle tout en coulisse dans l’intérêt d’Avalon ou dans le sien ? Parce que les tenants et les aboutissants ne seraient pas du tout les mêmes en vérité. Pourquoi Isis la trouvait-elle si fausse et hypocrite alors que le reste de l’île la considérait presque comme une apparition divine ? Alors que les questions tournaient dans sa tête, Isis avait l’impression qu’Alanna pouvait les deviner au travers de son regard. Soudain, le souvenir d’un sous sol sombre et froid, d’une pièce si petite et noire que d’y penser lui donnait des sueurs froides, vint s’imposer à elle avec violence. Elle se sentait presque prise au piège dans la petite maison d’Alanna, soumise à ce regard dont elle sentait presque une certaine ironie. Si l’angoisse montait, la colère était encore bien plus présente. Isis s’était juré de ne plus jamais revivre ça. Son instinct lui disait de tourner les talons coûte que coûte, mais sa raison lui criait de ne pas tourner le dos à Alanna. Pour quelle raison ? Une petite voix vint alors trancher entre les deux. Du néant sombre et froid de son cœur, la fillette sembla s’éveiller de nulle part alors que la tête commençait à lui tourner.

Isis commençait à se sentir vraiment mal. Alors qu’elle allait s’appuyer sur le dossier du siège devant elle, une succession de flash lui coupa le souffle. A chaque fois que ses paupières clignaient, elle avait l’impression de se voir de l’extérieure comme dans un film. Le phénomène était d’une telle intensité que cela en devenait presque douloureux. Et puis soudain plus rien, comme si Isis venait de réintégrer pleinement son corps. Il ne restait plus alors qu’un cri sourd au fond de son crâne comme un désir impérieux contre lequel on ne pouvait rien. La petite fille voulait aller aux marais. Pourquoi faire ? Dardant un regard noir sur Alanna qui souriait toujours, Isis n’avait qu’une envie c’était de l’étrangler de ses mains. Juste pour la soulager de la colère et du mépris qu’elle lui inspirait. Comment un tel comportement pouvait-il les inciter à rester à Avalon ?

- Ce que j’ai dit avant… Ce n’était pas pour moi… C’était pour vous !

Tournant les talons, Isis sortie à son tour de la maison d’Alanna. En route, elle croisa Madeline qui avait rattrapé Shiban et sans même un regard ou un mot pour eux, elle prit directement le chemin qui la conduirait aux marais. Qui avait-il là-bas de si important ? Isis n’en savait rien, mais la petite fille semblait sûre d’elle.

Je n'avais pas envie qu'on me rattrape. Je n'avais pas non plus envie que Madeline me rattrape ! J'avais juste envie d'être seul, pour changer, c'était trop demander sur cette île ! Lorsqu'elle s'est interposée, j'avais froncé les sourcils. Non, je n'avais aucune envie de parler, qui plus est. Je me suis demandé un instant si je devais le faire. Madeline voulait comprendre, c'était honorable. Mais je doutais franchement qu'elle puisse. Moi-même, j'avais du mal et pourtant, j'avais eu le temps d'y réfléchir. Mais en fait... des jeux vidéos, tout ça, ce que j'en avais à faire ? Ce n'étaient que des trucs futiles, je m'en moquais. C'était réservé à ceux qui n'avaient rien d'autre à faire.

Quand Isis est sortie à son tour, je l'ai regardée un instant, s'éloigner. Elle avait bien raison. Alors j'ai tourné les yeux vers Madeline, je me suis dégagé de ses bras et j'ai reculé d'un pas. Puis de deux. Je l'ai longuement dévisagée sans perdre ma moue sérieuse. Puis j'ai fini par secouer la tête.

– Tu pourrais pas comprendre. Personne pourrait.

J'ai commencé à marcher à reculons avant de me mettre à courir.

– Laisse-moi tranquille !

Comme je disais, j'avais envie d'être seul. Je voulais pas qu'on me traite comme un gamin. Pauuuuvre Shiban il a pas sa momannn. Je les voyais déjà bien se moquer de moi. Mais pas cette fois. Malgré toute la bonne volonté de Madeline, ce n'était simplement pas le bon moment.

Spoiler:

Madeline attendait une réponse de Shiban. Sa colère contre Alanna était retombée et elle avait bien vu que le petit garçon n'allait pas très bien. Du coin de l'oeil, elle vit Isis qui s'éloignait dans une direction que Madeline n'avait jamais prise, du moins pas dans ce sens là. Isis sortait du village, elle allait vers les marais où ils s'étaient réveillés ce jour-là. Madeline fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'Isis allait faire là bas ? Elle avait entendu dire que cet endroit était dangereux quand on ne le connaissait pas.

Elle reporta son attention sur Shiban. Elle répondrait aux questions sur Isis plus tard. Sauf que Shiban ne semblait pas avoir envie de parler. En fait, sans prévenir, il se dégagea des mains de Madeline et s'éloigna. Criant cette phrase qui confirma à Madeline qu'il se passait quelque chose dans sa petite tête. Quelque chose de plus grave que de savoir s'il pourrait rester ici ou pas.

Elle le laissa s'éloigner sans tenter de le retenir. Si elle savait soigner les corps des enfants, elle ne savait pas comment soigner leur esprit. Elle soupira et finit par tourner les talons, elle aussi.

Le sujet est à présent clos ! Isis, tu peux parler à ta guise de ce que tu viens de voir, ou pas, chercher à en savoir plus, ou pas. 
Shiban de même !